Adaptation: résignation ou liberté?

Dernièrement, dans une conversation avec des penseurs nord-américains, j’ai dit que l’entraînement de l’esprit par la méditation pouvait permettre à des individus de modifier leur perception de situations pénibles et les aider à développer des facultés utiles pour mieux affronter les hauts et les bas de l’existence.

On me répondit avec vigueur que préconiser une telle adaptation était très dangereux. Cela reviendrait à dire aux esclaves peinant dans les galères et aux autres opprimés que la seule chose à faire est de méditer pour apprendre à se satisfaire de son sort plutôt que de réclamer la justice et la fin de l’oppression. Cela encouragerait toute personne exploitée par d’autres à développer une attitude de résignation passive. Cela ne serait pas acceptable.

Manifestement il y avait un malentendu important entre nous.

Développer la capacité intérieure de faire face avec force, confiance et une certaine dose de sérénité aux circonstances de la vie, qu’elles soient heureuses ou malheureuses, est un immense atout. En aucun cas cela n’est synonyme de résignation impuissante ou d’injustice tolérée. Il s’agit avant tout d’éviter de devenir deux fois esclave : esclave des autres et esclave de son propre esprit.

Il est vital que tout en faisant tout ce qui est concevable pour vaincre l’iniquité, l’oppression et la négligence, et s’efforcer d’accéder à une liberté extérieure, on parvienne aussi intérieurement à se libérer d’états mentaux douloureux. La force intérieure, en tant qu’elle est l’opposé de la vulnérabilité, est le meilleur moyen de développer une détermination sans faille à changer les circonstances extérieures, chaque fois que c’est possible.

Quelqu’un qui est continuellement à la merci de son propre esprit peut aisément être dépassé par des difficultés qui sont internes et externes à la fois. Quelle que soit la nature des circonstances extérieures, c’est l’esprit qui traduit ces circonstances en bonheur ou malheur. Eviter d’être anéanti par des événements néfastes n’est pas se résigner. Comme le disent souvent le Dalai Lama et d’autres maîtres bouddhistes : «Face à une situation difficile, si quelque chose peut être entrepris, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Si rien ne peut l’être, il n’est pas utile de s’inquiéter ».

Bien comprise, cette attitude n’encourage personne à cultiver la passivité ; elle évite simplement de souffrir deux fois plus.

Rencontre dans l’avion

Dernièrement, dans un vol international alors que le repas venait d’être servi, mon voisin, un jeune américain du Midwest, me demanda avec une pointe d’étonnement :

— Etes-vous végétarien ?

— Oui.

— Pensez-vous que la viande est quelque chose d’impur ?

— Pas du tout, mais je ne veux pas causer de mal en mangeant.

— Mais tous les animaux se mangent les uns les autres. C’est la nature.

— C’est possible, mais moi je ne les mange pas.

— Si un de ces animaux était là, il pourrait vous manger !

— Certainement, mais d’après moi ce n’est une raison suffisante pour que moi je le mange. Comme le disait George Bernard Shaw, « Les animaux sont mes amis et je ne mange pas mes amis ».

— Oh, les animaux sont vos amis….

— Oui.

— Voilà qui est intéressant.

Le bonheur au-delà de l’égocentrisme

Envisager le bonheur comme la matérialisation de tous nos désirs et passions et, surtout, le concevoir uniquement sur un mode égocentrique, c’est confondre l’aspiration légitime à la plénitude avec une utopie qui débouche inévitablement sur la frustration.

Même si l’on affiche toutes les apparences du bonheur, on ne peut être véritablement heureux en se désintéressant du bonheur d’autrui.

Ne pas s’identifier à sa souffrance

Même lorsqu’une souffrance nous tourmente au plus haut point, nous ne sommes pas cette souffrance. Lorsque nous souffrons d’une maladie, nous ne sommes pas cette maladie. Habituellement, nous nous identifions complètement à notre souffrance et ne faisons qu’un avec elle. Pour pouvoir continuer à nous épanouir dans l’existence, il importe de comprendre que la souffrance est une maladie qui, à des degrés divers, nous affecte tous, et surtout que, au plus profond de nous-mêmes, quelque chose n’est pas altéré par les tourments de l’existence. Il faut donc d’une part repérer la souffrance qui nous affecte, et de l’autre prendre conscience de ce qui, en nous, reste inentamé.

Ce qui nous accable, c’est tout un enchaînement de sensations et de pensées qui nous conduit à sélectionner un aspect donné de la réalité et à le laisser occuper tout le champ de nos préoccupations, ce qui a pour effet de lui conférer une importance démesurée.

Pour remédier à cela il faut d’abord parvenir à mieux appréhender ce qui, en nous, n’est pas affecté par la souffrance. Au fond de nous-mêmes, derrière la sensation de douleur, il y a toujours une présence éveillée qui demeure, simple et paisible. Cette présence éveillée n’est pas une entité mystérieuse : c’est la nature première de notre esprit, la qualité fondamentale de la conscience qui nous permet de faire l’expérience du monde et de nous-mêmes. Si nous portons notre attention vers elle et nous reposons en elle, elle agit comme un baume sur nos tourments.  Le résultat est un regain de paix intérieure.

Confronté à de puissantes émotions et sensations, notre esprit se trouve si souvent comme privé de son libre arbitre. Seule une réflexion profonde sur les mécanismes du bonheur et de la souffrance, une nouvelle vision des choses, une meilleure compréhension de la manière donc fonctionne notre esprit, combinées à un entraînement méthodique de l’esprit peuvent progressivement nous aider à le libérer.

Les événements et le comportement des autres échappent dans une large mesure à notre contrôle, mais nous pouvons toujours agir sur la manière dont nous les percevons et dont nous en faisons l’expérience. Or en surmontant nos souffrances personnelles, il y a tant de choses constructives que nous pouvons entreprendre dans la vie, par exemple en nous mettant au service des autres.

L’optimisme éclairé (deuxième partie)

En entendant une porte grincer, l’optimiste pense qu’elle s’ouvre et le pessimiste qu’elle se ferme.

Les psychologues ont longtemps cru que les personnes légèrement dépressives étaient les plus « réalistes ». Les optimistes en effet ont tendance à se rappeler plus souvent les événements plaisants que les situations douloureuses et à surestimer leurs performances passées et leur maîtrise des choses.

Pourtant, des travaux récents ont montré qu’il ne faut pas se contenter de prendre en considération l’évaluation objective, distanciée et méfiante de la réalité à laquelle se livrent les pessimistes. Lorsqu’il ne s’agit pas seulement de tests qui ressemblent à des jeux, mais de situations de la vie quotidienne, les optimistes sont en fait plus réalistes et pragmatiques que les pessimistes. Si l’on présente par exemple à des consommatrices de café un rapport sur l’augmentation du risque de cancer du sein causé par la caféine, une semaine plus tard, les optimistes se souviennent mieux des détails de ces rapports que les pessimistes et en tiennent plus compte dans leur conduite. De plus, ils se concentrent attentivement et sélectivement sur les risques qui les concernent vraiment, au lieu de s’inquiéter inutilement et inefficacement de tout. Ainsi ils restent plus sereins que les pessimistes et réservent leur énergie pour de vrais dangers.

Par ailleurs, si l’on apprend à ces personnes déprimées à remédier spécifiquement au pessimisme en transformant leur vision des choses, elles sont moins sujettes à des rechutes dépressives. Il y a des raisons précises à cela. Les psychologues décrivent en effet le pessimisme comme un mode d’explication du monde qui engendre une impuissance acquise.

Même si l’optimiste rêve un peu quand il envisage le futur (en se disant que cela finira bien par s’arranger, alors que ce n’est pas toujours le cas), son attitude est plus féconde, car avec l’espoir de réaliser cent projets, suivi d’une action diligente, l’optimiste finira par en réaliser un grand nombre. À l’opposé, en espérant n’en réaliser que dix, le pessimiste réalisera encore moins, car il va consacrer peu d’énergie à une tâche qu’il estime compromise d’avance.

L’espoir est la conviction que l’on peut trouver les moyens d’accomplir ses buts et développer la motivation nécessaire à leur accomplissement. L’optimiste ne renonce pas rapidement : fort de l’espoir qu’il va réussir, il persévère et réussit plus souvent que le pessimiste, surtout dans des circonstances adverses.

Repartir de zéro (au lieu de terminer à zéro), comprendre qu’il est essentiel de faire des efforts soutenus dans la direction qui semble la meilleure (au lieu d’être paralysé par l’indécision et le fatalisme), utiliser chaque moment présent pour progresser, apprécier, agir, jouir de la paix intérieure (au lieu de perdre son temps à ruminer le passé et à redouter l’avenir)

Comme l’écrivait Hetty Hillesum : ‟Quand on a une vie intérieure, peu importe, sans doute, de quel côté des grilles du camp on se trouve […] J’ai déjà subi mille morts dans mille camps de concentration. Tout m’est connu. Aucune information nouvelle ne m’angoisse plus. D’une façon ou d’une autre je sais déjà tout. Et pourtant, je trouve cette vie belle et riche de sens. A chaque instant.”

L’optimisme éclairé (première partie)

L’optimisme éclairé engendre une attitude ouverte, créatrice et libératrice qui permet d’embrasser spontanément l’univers et les êtres au lieu de se retrancher derrière le sentiment de l’importance de soi.

Il y a de nombreuses façons de faire l’expérience du monde. Voir la vie en or, c’est essentiellement se rendre compte que tous les êtres, y compris nous-même, ont en eux un extraordinaire potentiel de transformation intérieure et d’action. C’est aborder le monde et les êtres avec confiance, ouverture et altruisme. Mais cela ne signifie pas qu’il faille se voiler la face devant la réalité et déclarer avec une naïveté béate que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le juste équilibre consiste à allier une puissante détermination et une parfaire disponibilité à venir en aide aux êtres à une vision vaste, qui ne perd jamais de vue ce potentiel de transformation même lorsque la souffrance semble omniprésente. Cela nous évite de tomber dans l’autre extrême, lequel consiste à voir la vie en gris et penser qu’elle est vouée à l’échec et au malheur, qu’on ne peut rien en faire de bon, pas plus qu’on ne peut sculpter un morceau de bois pourri.

Comme l’écrivait Alain : « Quelle chose merveilleuse serait la société des hommes, si chacun mettait de son bois au feu, au lieu de pleurer sur des cendres 10 ! »

Mais il y a une dimension encore plus fondamentale de l’optimisme, celle de la réalisation du potentiel de transformation que nous avons souvent mentionné et qui se trouve en chaque être humain, quelle que soit sa condition. C’est finalement cela qui donne un sens à la vie humaine. L’ultime pessimisme revient à penser que la vie dans son ensemble ne vaut pas la peine d’être vécue. L’ultime optimisme, à comprendre que chaque instant qui s’écoule est un trésor, dans la joie comme dans l’adversité. Ce ne sont pas là de simples nuances, mais une différence fondamentale dans la façon de voir les choses. Un tel écart de perspectives est lié au fait d’avoir ou non trouvé en soi cette plénitude qui est seule apte à nourrir une paix intérieure et une sérénité de tous les instants.

Ce n’est donc pas l’énormité de la tâche qui importe, mais la magnitude de notre courage.

Sources d’inspiration

« L’homme le plus heureux est celui qui fait

le bonheur d’un plus grand nombre d’autres »

Denis Diderot

‟Le monde contient bien assez pour les besoins de chacun, mais pas assez pour la cupidité de tous”

Gandhi

‟Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson pêché, alors vous découvrirez que l’argent ne se mange pas.”

Chef Indien Cree.

L’impact des émotions

La manière la plus simple d’établir des distinctions entre nos émotions consiste à examiner leur motivation (l’attitude mentale et le but fixé) et leurs résultats. Selon le bouddhisme, si une émotion renforce notre paix intérieure et tend au bien d’autrui, elle est positive, ou constructive ; si elle détruit notre sérénité, trouble profondément notre esprit et nuit aux autres, elle est négative, ou perturbatrice. Quant aux conséquences, le seul critère est le bien ou la souffrance que nous engendrons par nos actes, nos paroles et nos pensées. C’est ce qui différencie, par exemple, une « sainte colère » — l’indignation motivée par une injustice dont nous sommes témoins — d’une fureur engendrée par le désir de blesser autrui. La première a libéré des peuples de l’esclavage, de la domination, elle nous pousse à défiler dans les rues et à changer le monde. Elle est destinée à faire cesser l’injustice au plus vite, ou à faire prendre conscience à quelqu’un de l’erreur qu’il commet. La seconde n’engendre que souffrances.

Si la motivation, le but visé et les conséquences sont positifs, on peut utiliser des moyens appropriés, quelle que soit leur apparence. Le mensonge et le vol sont généralement des actes nuisibles et donc à première vue répréhensibles, mais on peut aussi mentir pour sauver la vie d’une personne traquée par un tueur, ou dérober les réserves alimentaires d’un potentat égoïste pour épargner la mort à un village menacé de famine. En revanche, si la motivation est négative et si le but manifeste est de nuire, ou s’il est simplement égoïste, même en recourant à des moyens apparemment respectables, il s’agit d’actes foncièrement négatifs. Le poète tibétain Shabkar disait : « L’homme compatissant est bon, même en colère ; dénué de compassion, il tue avec le sourire. »

L’empathie et la pratique intensive de la compassion

L’empathie consiste à ressentir ce que d’autres éprouvent et à entrer en résonance avec eux. Lorsque nous rencontrons un être transporté de joie, nous éprouvons nous aussi de la joie. Il en va de même pour la souffrance. Par empathie nous ressentons la souffrance qui accable l’autre. Au plan de l’expérience vécue, ces sentiments empathiques sont semblables à de la joie véritable et à de la souffrance véritable. C’est pourquoi, lorsqu’une personne qui éprouve spontanément de l’empathie est continuellement confrontée aux souffrances d’autrui, elle est constamment affectée par ces souffrances. Nous constatons que ceci arrive aux plus dévouées des personnes travaillant dans les services d’aide et de soin, tels que les professionnels de la santé. L’expérience répétée et profonde qu’elles font de l’empathie les conduit soit à développer le syndrome d’épuisement professionnel (l’incapacité de supporter les sentiments empathiques), soit à fuir les sentiments et les émotions d’autrui.

L’année dernière j’ai participé, ensemble avec la spécialiste des neurosciences Tania Singer, à une étude sur l’empathie et la compassion. Nous avons examiné les phénomènes de « fatigue de l’empathie », largement répandus au sein de la communauté médicale. Comment un professionnel des soins peut-il préserver l’ardeur de son empathie pour autrui tout en gardant intacts le courage et l’optimisme dont il a besoin pour aider ses patients ?

Les méditants participant à l’étude découvrirent qu’un moyen de résoudre ce dilemme consiste à cultiver un amour et une compassion sans réserve pour la personne souffrante. Il s’agit là de bien plus que de simplement entrer en résonance avec les émotions de la personne qui souffre.

Selon le bouddhisme, l’amour altruiste est une attitude qui consiste à souhaiter que les autres soient heureux et à rechercher les causes véritables du bonheur. Et la compassion est définie comme le désir de mettre fin aux souffrances d’autrui et à leurs causes. Un tel amour altruiste peut imprégner l’esprit au point qu’on peut en venir à ne rien souhaiter de plus que le bien-être de ceux qui souffrent. La compassion n’est rien d’autre que l’amour donné à ceux qui souffrent. Un tel amour compatissant peut neutraliser la détresse et l’impuissance engendrée par l’empathie appliquée seule, et produit des dispositions d’esprit constructives telles que le courage compatissant.

Un entraînement laïc à aimer la bonté et la compassion pourraient donc permettre au personnel soignant de mieux aider les patients souffrants, sans que pour autant il présente ce débilitant syndrome d’épuisement professionnel, qui se développe fréquemment après une exposition prolongée à la seule empathie. Il nous a aussi semblé que même s’il peut y avoir de la « fatigue de l’empathie », il ne saurait y avoir de la « fatigue de la compassion », sachant que la compassion est par essence une disposition d’esprit équilibrée et positive, tandis que l’empathie n’est que le moyen permettant de percevoir sans erreur la disposition d’esprit des autres. Plus on cultive la compassion et l’amour de la bonté, plus on progresse sur la voie du bien-être authentique, et on devient pleinement disponible pour autrui.

La ‟vigilance” du tireur d’élite

La vigilance en elle-même est-elle saine?

Lors d’une rencontre inspirante organisée par l’Institut Mind and Life qui s’est récemment déroulée entre le Dalaï Lama et un groupe de scientifiques et d’éminents spécialistes, à Dharamsala, en Inde, le professeur Rupert Gethin, un érudit réputé de la tradition du bouddhisme Theravada, a défendu le point de vue selon lequel la vigilance telle qu’elle est définie dans les textes pali est en elle-même, par définition, une aptitude saine et positive.

Il donna l’exemple de Philippe Petit, le célèbre funambule français qui en 1974 fit pendant quarante-cinq minutes l’aller et retour, sur un câble métallique tendu entre les deux tours jumelles du World Trade Center de New York, à 380 mètres au-dessus du sol.

Il dansait, faisait parfois des sauts — ses pieds ne touchaient plus la corde — ; à certains moments même, il s’allongeait sur le câble. Il exécutait toutes ces figures en arborant un sourire extatique. Il était de toute évidence dans un état de grâce. Les témoins de cette extraordinaire prouesse en parlent encore avec des larmes dans les yeux. Rupert Gethin estime que cet incroyable acrobate a dû maintenir un état de vigilance constant, fondamentalement sain et positif, ce genre d’état qui contribue à atteindre l’Eveil.

Nous avons argumenté que cette prouesse dépendait de la motivation de l’acrobate. Bien qu’il ait déclaré que son exploit était une pure démonstration de beauté offerte au monde, il aurait pu avoir été motivé par des objectifs moins nobles. On peut, par exemple, imaginer le cas d’un autre acrobate voulant ainsi marcher sur une corde raide dans le but de se venger et d’assassiner quelqu’un se trouvant à l’autre bout du filon d’acier. Rupert Gethin a alors estimé que si tel était le cas, le funambule en question serait incapable de maintenir une pure vigilance et chuterait inévitablement.

Un cas de figure encore plus clair consisterait à envisager un sniper guettant la victime qu’il a l’intention de tuer : il maintient certes une concentration centrée sur un objet défini, demeure sans faillir, calme et posé, dans le moment présent ; il est capable de maintenir son attention pendant un long moment et de la ramener sur sa cible dès qu’elle s’en égare. S’il veut réaliser son sinistre but, il doit éliminer toute distraction et tout relâchement, attitudes mentales qui sont les deux obstacles majeurs au maintien de l’attention.

Dans ce cas, il manque donc la dimension éthique qui permet de qualifier l’attention de « saine » et de facteur contribuant à l’Eveil. L’attention pure, aussi affinée soit-elle, n’est jamais qu’un instrument que l’on peut utiliser pour atteindre l’Eveil, mais qui peut tout aussi bien être la cause d’immenses souffrances.

L’Abhidharma-kosha définit la vigilance correcte comme étant « consciente de la vertu. » Outre le fait de porter l’attention (pali manasikara ; sanskrit manaskara, tibétain yid la byed pa en tibétain) sur un objet déterminé et de la maintenir (pali sati, skt, smriti, tib. dran pa) sur ledit objet, la pleine conscience doit inclure une continuité dans la dimension éthique de la vigilance, ainsi qu’une compréhension claire et dénuée de toute erreur de la nature de l’état mental présent (pali sampajanna, skt samprajnana, tib. shes bzhin).

Cette composante éthique bien intégrée, qui consiste à être intimement concerné par la qualité de nos pensées et de nos actes (pali appamadena, skt apramada, tib. bag yod) permets de veiller constamment et sans faillir à ce que l’esprit ne tombe pas sous la coupe de pensées malsaines qui mènent à des actes négatifs.

Il est vrai qu’un méditant qui demeure dans une pure présence éveillée et une parfaite compréhension de la nature de l’esprit, libre de fabrications mentales, ne saurait appuyer sur la gâchette pour tuer quelqu’un. Ce pur éveil est un état de sagesse associé à la compréhension de la nature fondamental de l’esprit, qui est entièrement libre d’ignorance et de toxines mentales, et empreint d’un altruisme et d’une compassion spontanés et inconditionnels.  Cet état résulte de l’atteinte de la liberté intérieure et ne doit pas être confondu avec l’attention pure.

On peut certes accepter l’idée que quelqu’un qui demeure dans un état de présence éveillée, claire, limpide, vaste, ouverte et libre de constructions mentales–de réminiscences du passé, d’anticipations de l’avenir et de distractions dans le présent–ne saurait commettre un acte négatif. Toutefois, un tel état méditatif est naturellement associé à une sagesse et à un altruisme et une compassion spontanés et inconditionnels, donc à une dimension éthique, qui n’est pas nécessairement présente dans l’attention pure.