Ce qui n’est pas donné est perdu

Ces paroles ont été prononcées par mon ami le père Ceyrac, âgé aujourd’hui de 95 ans, qui en un demi-siècle s’est occupé de 50.000 enfants dans le sud de l’Inde. On trouve une pensée analogue dans les enseignements bouddhistes, ainsi formulée: « ce qui n’est pas fait pour le bénéfice d’autrui, ne mérite pas d’être fait ». Rechercher égoïstement le bonheur est le meilleur moyen de se rendre malheureux soi-même ainsi qu’autrui. Tout le monde y perd.

L’altruisme, la compassion et son mode d’expression naturel, la générosité, sont en revanche des attitudes diamétralement opposées: elles constituent le meilleur moyen de s’épanouir tout en se mettant au service des autres.

L’avidité est l’eau saumâtre consommée par ceux qui ont soif de satisfaction égocentrée. Ce type de soif ne peut jamais être assouvie et tourmente toujours plus. Inversement, la générosité est la pluie qui récompense, elle fertilise le champ de chacun, y compris le vôtre. Elle mène ainsi à une situation où tout le monde est gagnant.

Gérer le stress et l’anxiété

Le stress est un mécanisme naturel qui mobilise toutes nos énergies pour faire face à une urgence–fuir devant un éléphant qui charge, par exemple. Mais si vous êtes toute la journée dans l’état de celui qui cherche à fuir un éléphant, c’est très mauvais pour la santé. Le stress chronique affaiblit le système immunitaire, abime les neurones, augmente démesurément le taux cortisol dans le sang, et ainsi de suite.

Dans la vie quotidienne, le stress peut être provoqué par un événement ponctuel, par une situation qui perdure, ou par notre manière de faire l’expérience du monde. Il naît de la difficulté que nous éprouvons à gérer ou à accepter une situation et des événements. Le stress est un concentré de contrariétés, d’espoirs et de craintes qui envahit le champ de notre conscience.

Un nombre croissant d’études scientifiques indique que la pratique de la méditation sur la pleine conscience (20 minutes par jour pendant 8 semaines) diminue significativement le stress, l’anxiété, la tendance à la colère et à la dépression.

Conseil No 1: Dénouer l’inquiétude

Dites-vous que s’il y a une solution, il n’est pas nécessaire de s’inquiéter, et s’il n’y a pas de solution, il est inutile de s’inquiéter.

Conseil No 2: Une chose à la fois.

Si vous avez beaucoup de choses à faire, faite une chose à la fois. En fin de compte, vous irez plus vite et ferez mieux les choses. Des études récentes, réalisées à l’université de Stanford, ont montré que le multitâche ne nous aide pas à mieux gérer un grand nombre d’activités simultanément: nous faisons tout plus mal et en fin de compte plus lentement. Notre efficacité ainsi que notre capacité d’attention sont diminuées.

Conseil No 3: Un brin de méditation.

Si vous êtes saisis par l’anxiété, faites une pause et essayer d’être simplement conscient de cette anxiété. A mesure que vous ‟regardez” le stress à l’aide de pleine conscience, celui-ci perd son intensité. Pourquoi ? Parce que la partie de votre esprit qui est consciente de l’anxiété n’est pas anxieuse. Elle est simplement consciente. A mesure que la pleine conscience prend de l’ampleur, l’anxiété s’estompe jusqu’à perdre sa capacité de troubler votre esprit, et céder la place à la paix retrouvée.

Adaptation: résignation ou liberté?

Dernièrement, dans une conversation avec des penseurs nord-américains, j’ai dit que l’entraînement de l’esprit par la méditation pouvait permettre à des individus de modifier leur perception de situations pénibles et les aider à développer des facultés utiles pour mieux affronter les hauts et les bas de l’existence.

On me répondit avec vigueur que préconiser une telle adaptation était très dangereux. Cela reviendrait à dire aux esclaves peinant dans les galères et aux autres opprimés que la seule chose à faire est de méditer pour apprendre à se satisfaire de son sort plutôt que de réclamer la justice et la fin de l’oppression. Cela encouragerait toute personne exploitée par d’autres à développer une attitude de résignation passive. Cela ne serait pas acceptable.

Manifestement il y avait un malentendu important entre nous.

Développer la capacité intérieure de faire face avec force, confiance et une certaine dose de sérénité aux circonstances de la vie, qu’elles soient heureuses ou malheureuses, est un immense atout. En aucun cas cela n’est synonyme de résignation impuissante ou d’injustice tolérée. Il s’agit avant tout d’éviter de devenir deux fois esclave : esclave des autres et esclave de son propre esprit.

Il est vital que tout en faisant tout ce qui est concevable pour vaincre l’iniquité, l’oppression et la négligence, et s’efforcer d’accéder à une liberté extérieure, on parvienne aussi intérieurement à se libérer d’états mentaux douloureux. La force intérieure, en tant qu’elle est l’opposé de la vulnérabilité, est le meilleur moyen de développer une détermination sans faille à changer les circonstances extérieures, chaque fois que c’est possible.

Quelqu’un qui est continuellement à la merci de son propre esprit peut aisément être dépassé par des difficultés qui sont internes et externes à la fois. Quelle que soit la nature des circonstances extérieures, c’est l’esprit qui traduit ces circonstances en bonheur ou malheur. Eviter d’être anéanti par des événements néfastes n’est pas se résigner. Comme le disent souvent le Dalai Lama et d’autres maîtres bouddhistes : «Face à une situation difficile, si quelque chose peut être entrepris, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Si rien ne peut l’être, il n’est pas utile de s’inquiéter ».

Bien comprise, cette attitude n’encourage personne à cultiver la passivité ; elle évite simplement de souffrir deux fois plus.

Rencontre dans l’avion

Dernièrement, dans un vol international alors que le repas venait d’être servi, mon voisin, un jeune américain du Midwest, me demanda avec une pointe d’étonnement :

— Etes-vous végétarien ?

— Oui.

— Pensez-vous que la viande est quelque chose d’impur ?

— Pas du tout, mais je ne veux pas causer de mal en mangeant.

— Mais tous les animaux se mangent les uns les autres. C’est la nature.

— C’est possible, mais moi je ne les mange pas.

— Si un de ces animaux était là, il pourrait vous manger !

— Certainement, mais d’après moi ce n’est une raison suffisante pour que moi je le mange. Comme le disait George Bernard Shaw, « Les animaux sont mes amis et je ne mange pas mes amis ».

— Oh, les animaux sont vos amis….

— Oui.

— Voilà qui est intéressant.

Le bonheur au-delà de l’égocentrisme

Envisager le bonheur comme la matérialisation de tous nos désirs et passions et, surtout, le concevoir uniquement sur un mode égocentrique, c’est confondre l’aspiration légitime à la plénitude avec une utopie qui débouche inévitablement sur la frustration.

Même si l’on affiche toutes les apparences du bonheur, on ne peut être véritablement heureux en se désintéressant du bonheur d’autrui.

Ne pas s’identifier à sa souffrance

Même lorsqu’une souffrance nous tourmente au plus haut point, nous ne sommes pas cette souffrance. Lorsque nous souffrons d’une maladie, nous ne sommes pas cette maladie. Habituellement, nous nous identifions complètement à notre souffrance et ne faisons qu’un avec elle. Pour pouvoir continuer à nous épanouir dans l’existence, il importe de comprendre que la souffrance est une maladie qui, à des degrés divers, nous affecte tous, et surtout que, au plus profond de nous-mêmes, quelque chose n’est pas altéré par les tourments de l’existence. Il faut donc d’une part repérer la souffrance qui nous affecte, et de l’autre prendre conscience de ce qui, en nous, reste inentamé.

Ce qui nous accable, c’est tout un enchaînement de sensations et de pensées qui nous conduit à sélectionner un aspect donné de la réalité et à le laisser occuper tout le champ de nos préoccupations, ce qui a pour effet de lui conférer une importance démesurée.

Pour remédier à cela il faut d’abord parvenir à mieux appréhender ce qui, en nous, n’est pas affecté par la souffrance. Au fond de nous-mêmes, derrière la sensation de douleur, il y a toujours une présence éveillée qui demeure, simple et paisible. Cette présence éveillée n’est pas une entité mystérieuse : c’est la nature première de notre esprit, la qualité fondamentale de la conscience qui nous permet de faire l’expérience du monde et de nous-mêmes. Si nous portons notre attention vers elle et nous reposons en elle, elle agit comme un baume sur nos tourments.  Le résultat est un regain de paix intérieure.

Confronté à de puissantes émotions et sensations, notre esprit se trouve si souvent comme privé de son libre arbitre. Seule une réflexion profonde sur les mécanismes du bonheur et de la souffrance, une nouvelle vision des choses, une meilleure compréhension de la manière donc fonctionne notre esprit, combinées à un entraînement méthodique de l’esprit peuvent progressivement nous aider à le libérer.

Les événements et le comportement des autres échappent dans une large mesure à notre contrôle, mais nous pouvons toujours agir sur la manière dont nous les percevons et dont nous en faisons l’expérience. Or en surmontant nos souffrances personnelles, il y a tant de choses constructives que nous pouvons entreprendre dans la vie, par exemple en nous mettant au service des autres.

L’optimisme éclairé (deuxième partie)

En entendant une porte grincer, l’optimiste pense qu’elle s’ouvre et le pessimiste qu’elle se ferme.

Les psychologues ont longtemps cru que les personnes légèrement dépressives étaient les plus « réalistes ». Les optimistes en effet ont tendance à se rappeler plus souvent les événements plaisants que les situations douloureuses et à surestimer leurs performances passées et leur maîtrise des choses.

Pourtant, des travaux récents ont montré qu’il ne faut pas se contenter de prendre en considération l’évaluation objective, distanciée et méfiante de la réalité à laquelle se livrent les pessimistes. Lorsqu’il ne s’agit pas seulement de tests qui ressemblent à des jeux, mais de situations de la vie quotidienne, les optimistes sont en fait plus réalistes et pragmatiques que les pessimistes. Si l’on présente par exemple à des consommatrices de café un rapport sur l’augmentation du risque de cancer du sein causé par la caféine, une semaine plus tard, les optimistes se souviennent mieux des détails de ces rapports que les pessimistes et en tiennent plus compte dans leur conduite. De plus, ils se concentrent attentivement et sélectivement sur les risques qui les concernent vraiment, au lieu de s’inquiéter inutilement et inefficacement de tout. Ainsi ils restent plus sereins que les pessimistes et réservent leur énergie pour de vrais dangers.

Par ailleurs, si l’on apprend à ces personnes déprimées à remédier spécifiquement au pessimisme en transformant leur vision des choses, elles sont moins sujettes à des rechutes dépressives. Il y a des raisons précises à cela. Les psychologues décrivent en effet le pessimisme comme un mode d’explication du monde qui engendre une impuissance acquise.

Même si l’optimiste rêve un peu quand il envisage le futur (en se disant que cela finira bien par s’arranger, alors que ce n’est pas toujours le cas), son attitude est plus féconde, car avec l’espoir de réaliser cent projets, suivi d’une action diligente, l’optimiste finira par en réaliser un grand nombre. À l’opposé, en espérant n’en réaliser que dix, le pessimiste réalisera encore moins, car il va consacrer peu d’énergie à une tâche qu’il estime compromise d’avance.

L’espoir est la conviction que l’on peut trouver les moyens d’accomplir ses buts et développer la motivation nécessaire à leur accomplissement. L’optimiste ne renonce pas rapidement : fort de l’espoir qu’il va réussir, il persévère et réussit plus souvent que le pessimiste, surtout dans des circonstances adverses.

Repartir de zéro (au lieu de terminer à zéro), comprendre qu’il est essentiel de faire des efforts soutenus dans la direction qui semble la meilleure (au lieu d’être paralysé par l’indécision et le fatalisme), utiliser chaque moment présent pour progresser, apprécier, agir, jouir de la paix intérieure (au lieu de perdre son temps à ruminer le passé et à redouter l’avenir)

Comme l’écrivait Hetty Hillesum : ‟Quand on a une vie intérieure, peu importe, sans doute, de quel côté des grilles du camp on se trouve […] J’ai déjà subi mille morts dans mille camps de concentration. Tout m’est connu. Aucune information nouvelle ne m’angoisse plus. D’une façon ou d’une autre je sais déjà tout. Et pourtant, je trouve cette vie belle et riche de sens. A chaque instant.”

L’optimisme éclairé (première partie)

L’optimisme éclairé engendre une attitude ouverte, créatrice et libératrice qui permet d’embrasser spontanément l’univers et les êtres au lieu de se retrancher derrière le sentiment de l’importance de soi.

Il y a de nombreuses façons de faire l’expérience du monde. Voir la vie en or, c’est essentiellement se rendre compte que tous les êtres, y compris nous-même, ont en eux un extraordinaire potentiel de transformation intérieure et d’action. C’est aborder le monde et les êtres avec confiance, ouverture et altruisme. Mais cela ne signifie pas qu’il faille se voiler la face devant la réalité et déclarer avec une naïveté béate que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le juste équilibre consiste à allier une puissante détermination et une parfaire disponibilité à venir en aide aux êtres à une vision vaste, qui ne perd jamais de vue ce potentiel de transformation même lorsque la souffrance semble omniprésente. Cela nous évite de tomber dans l’autre extrême, lequel consiste à voir la vie en gris et penser qu’elle est vouée à l’échec et au malheur, qu’on ne peut rien en faire de bon, pas plus qu’on ne peut sculpter un morceau de bois pourri.

Comme l’écrivait Alain : « Quelle chose merveilleuse serait la société des hommes, si chacun mettait de son bois au feu, au lieu de pleurer sur des cendres 10 ! »

Mais il y a une dimension encore plus fondamentale de l’optimisme, celle de la réalisation du potentiel de transformation que nous avons souvent mentionné et qui se trouve en chaque être humain, quelle que soit sa condition. C’est finalement cela qui donne un sens à la vie humaine. L’ultime pessimisme revient à penser que la vie dans son ensemble ne vaut pas la peine d’être vécue. L’ultime optimisme, à comprendre que chaque instant qui s’écoule est un trésor, dans la joie comme dans l’adversité. Ce ne sont pas là de simples nuances, mais une différence fondamentale dans la façon de voir les choses. Un tel écart de perspectives est lié au fait d’avoir ou non trouvé en soi cette plénitude qui est seule apte à nourrir une paix intérieure et une sérénité de tous les instants.

Ce n’est donc pas l’énormité de la tâche qui importe, mais la magnitude de notre courage.

Sources d’inspiration

« L’homme le plus heureux est celui qui fait

le bonheur d’un plus grand nombre d’autres »

Denis Diderot

‟Le monde contient bien assez pour les besoins de chacun, mais pas assez pour la cupidité de tous”

Gandhi

‟Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson pêché, alors vous découvrirez que l’argent ne se mange pas.”

Chef Indien Cree.

L’impact des émotions

La manière la plus simple d’établir des distinctions entre nos émotions consiste à examiner leur motivation (l’attitude mentale et le but fixé) et leurs résultats. Selon le bouddhisme, si une émotion renforce notre paix intérieure et tend au bien d’autrui, elle est positive, ou constructive ; si elle détruit notre sérénité, trouble profondément notre esprit et nuit aux autres, elle est négative, ou perturbatrice. Quant aux conséquences, le seul critère est le bien ou la souffrance que nous engendrons par nos actes, nos paroles et nos pensées. C’est ce qui différencie, par exemple, une « sainte colère » — l’indignation motivée par une injustice dont nous sommes témoins — d’une fureur engendrée par le désir de blesser autrui. La première a libéré des peuples de l’esclavage, de la domination, elle nous pousse à défiler dans les rues et à changer le monde. Elle est destinée à faire cesser l’injustice au plus vite, ou à faire prendre conscience à quelqu’un de l’erreur qu’il commet. La seconde n’engendre que souffrances.

Si la motivation, le but visé et les conséquences sont positifs, on peut utiliser des moyens appropriés, quelle que soit leur apparence. Le mensonge et le vol sont généralement des actes nuisibles et donc à première vue répréhensibles, mais on peut aussi mentir pour sauver la vie d’une personne traquée par un tueur, ou dérober les réserves alimentaires d’un potentat égoïste pour épargner la mort à un village menacé de famine. En revanche, si la motivation est négative et si le but manifeste est de nuire, ou s’il est simplement égoïste, même en recourant à des moyens apparemment respectables, il s’agit d’actes foncièrement négatifs. Le poète tibétain Shabkar disait : « L’homme compatissant est bon, même en colère ; dénué de compassion, il tue avec le sourire. »