S’affranchir des automatismes de pensée

Lorsque nous sommes prisonniers d’automatismes mentaux, il faut observer la nature du mécanisme qui nous affecte et reconnaître en nous ce qui n’est pas affecté.

Ce qui nous affecte, c’est un enchaînement de pensées qui sélectionne et isole un aspect de la réalité, ou un événement parmi d’autres, et le magnifie en lui accordant le champ entier de nos pensées. Cet enchaînement va se poursuivre en rajoutant des interprétations et des perceptions de l’objet qui ne correspondent pas à la réalité. Cette distorsion est renforcée par le processus de répétition d’un enchaînement de pensées particulier qui va être joué « en boucle » dans notre esprit et prendre un caractère obsédant, ce qui signifie qu’on se trouve impuissant à l’écarter du champ de nos préoccupations. Que cette obsession soit une attraction ou une répulsion, dans les deux cas elle nous tourmente.

Pour remédier à cela il faut d’abord comprendre ce qui, en nous, n’est pas affecté par l’obsession. Au fond de nous-mêmes, derrière l’écran des pensées, il y a toujours, dans l’exaltation comme dans la dépression, une présence éveillée qui demeure telle qu’elle est, simple et paisible. Généralement, nous n’y prêtons pas attention parce que les images colorées et la fanfare bruyante des constructions mentales monopolisent notre attention.

Cette présence éveillée n’est pas une entité mystérieuse : c’est la nature première de notre esprit, la qualité fondamentale de la conscience qui nous permet de faire l’expérience du monde et de nous-mêmes. Si nous portons notre attention vers elle et nous reposons en elle, nous nous apercevons que le chaos des pensées n’a qu’un caractère « périphérique » qui n’affecte pas vraiment la nature profonde de l’esprit. Nous pouvons alors nous reposer dans cette nature, ce qui agit comme un baume sur nos tourments, calme nos pensées sauvages comme lorsqu’on retire le lait du feu. Placer ainsi les choses dans une perspective plus vaste, redresse les distorsions que nous faisions de la réalité. Le résultat est un regain de paix intérieure.

Une science de l’Eveil

Comment mener mon existence? Comment vivre en société? Que puis-je connaître? Telles sont sans doute les trois questions qui reflètent nos principales préoccupations. Idéalement, la conduite de notre existence devrait nous amener à un sentiment de plénitude qui inspire chaque instant et nous laisse sans regret à l’heure de la mort ; vivre en société autres devrait engendrer le sens de la responsabilité universelle ; la connaissance devrait nous révéler la nature du monde qui nous entoure et celle de notre esprit.

Ces questions ont donné naissance à la science, la philosophie, la politique, l’art, l’action sociale et la spiritualité. Toutefois, une compartimentation artificielle de ces activités ne peut que déboucher sur un dessèchement graduel de l’existence humaine : sans sagesse nourrie d’altruisme, la science et la politique sont des armes à double tranchant, l’éthique est aveugle, l’art futile, les émotions sauvages et la spiritualité illusoire. Sans connaissance, la sagesse s’étiole ; sans éthique, toutes ces activités sont dangereuses, et sans transformation spirituelle elles sont vides de sens.

La différence majeure entre la science et le bouddhisme réside dans leur finalité. Pour le bouddhisme, l’acquisition des connaissances se fait avant tout dans un but thérapeutique. Il s’agit de se libérer de la souffrance dont la cause est une forme particulière de l’ignorance : une conception erronée de la réalité extérieure et du ‟moi” que nous imaginons être le centre de notre être.

La transformation intérieure qui mène à l’Eveil est d’un tout autre ordre que le travail de recherche philosophique ou l’investigation des sciences descriptives. Le bouddhisme est essentiellement une science de l’Eveil et, de ce point de vue, que la terre soit ronde ou plate ne change rien à l’affaire.

Les signes de succès de la vie contemplative sont nombreux, mais le plus important est que la constatation qu’au bout de quelques mois ou de quelques années, notre égoïsme doit avoir diminué et notre altruisme s’être développé. Si l’attachement, la haine, l’orgueil et la jalousie restent aussi forts qu’avant, on a perdu son temps,

Le regard que porte le bouddhisme sur le monde nous permet d’établir une hiérarchie dans nos buts et nos activités et à prendre notre vie en mains. Son analyse des mécanismes du bonheur et de la souffrance nous montre clairement où mènent l’égoïsme et l’altruisme.

En vol au-dessus du Delta de l’Irrawaddy, Birmanie

Vers la fin de l’après-midi, sur un vol de Thaï Airways, entre Bangkok et Kathmandou.

Pour compenser le voile atmosphérique lié à l’altitude, j’ai augmenté légèrement le contraste et la saturation.

Canon Mark 3 Ds, 24-70 mm, f.9, 1/400s, ISO 250

image

Forum sur l’altruisme

Au début du mois d’Avril, nous allons ouvrir un forum consacré à la promotion de l’altruisme dans nos sociétés.

Notre époque fait face à de nombreux défis. Notamment, il nous particulièrement difficile de concilier trois échelles de temps différentes : le court terme de l’économie, le moyen terme de la satisfaction de vie, et le long terme de l’environnement. Il y a pourtant un fil d’Ariane qui les relie naturellement et permet d’harmoniser leurs exigences à première vue contradictoires. Il s’agit de l’altruisme.

Si nous avions davantage de considération pour autrui, nous nous ne livrerions pas à des spéculations sauvages, nous veillerions à améliorer les conditions au travail, de la vie familiale, des moyens de transport et de bien d’autres aspects de notre existence, notre vie spirituelle y compris, et nous ne sacrifierions pas inconsidérément le monde que nous allons léguer aux générations à venir.

De ce fait, l’altruisme ne peut plus être considéré simplement comme un noble idéal, quelque peu naïf ; il est, plus que jamais, une nécessité. Il faut avoir l’audace de le reconnaître et de le dire.

Comment encourager l’altruisme dans nos sociétés ? Quels sont les principaux obstacles à cette entreprise ? L’altruisme véritable existe-t-il et pouvons nous le cultiver ? Telles sont les principales questions dont nous allons discuterons.

De l’abandon

Il est bon d’abandonner le plus vite possible le superflu, le vain et l’inutile, et de ne pas y rester attaché par la force de l’habitude. Si je fais une randonnée en montagne, et qu’à mi-chemin je découvre que mon sac à dos est à moitié rempli de provisions et à moitié de cailloux, je me débarrasserai bien sûr avec joie de ces derniers.

De même, dans l’existence, il y a nombre de préoccupations qui ne contribuent en aucune façon à notre bonheur véritable. Alors pourquoi ne pas abandonner ces causes de tourments ?

En revanche il ne faut, à aucun prix, abandonner la poursuite de ce qui en vaut vraiment la peine : la transformation de soi en vue d’accroître le bien-être des autres et de remédier à leurs souffrance.

Quant au sentiment d’être abandonné par autrui, c’est une expérience pénible certes mais, ô combien, inutile. Qu’est-ce qui est abandonné ? Notre être profond ou le sentiment exacerbé de l’importance de soi ? Comment la nature fondamentale de la pleine conscience, cette présence éveillée libre de constructions mentales, pourrait-elle être abandonnée par quelqu’un d’autre? Nous pouvons tout au plus l’oublier nous-mêmes.

Si l’on contemple la nature de la pleine conscience et du moment présent, nous ne sommes pas ce « moi » qui souffre de l’abandon. Nous ne sommes pas davantage la souffrance que nous ressentons. La paix intérieure liée à la présence éveillée de la pleine conscience ne peut être affectée par ces fabrications de l’esprit.

La réincarnation n’est pas la renaissance d’un “moi” (suite et fin)

Conventionnellement, on peut parler de conscience ‟individuelle” même si l’individu n’existe pas en tant qu’entité autonome, car l’absence de transfert d’une entité discontinue ne s’oppose pas à la continuation d’une fonction.

Que le moi n’ait pas d’existence propre, n’empêche pas qu’un courant de conscience particulier ait une histoire et des qualités qui le distinguent d’un autre. Qu’il n’y ait pas de barque flottant sur le fleuve n’empêche pas celui-ci d’être chargé de sédiments, pollué par une usine de papier, ou clair et limpide. L’état du fleuve à un moment donné est l’image, le résultat de son histoire. De la même façon, les courants de conscience individuels sont chargés du résultat des pensées positives ou négatives, ainsi que des traces qu’ont laissé dans la conscience les actes et les paroles issues de ces pensées. Le propos de la pratique spirituelle est de purifier ce fleuve, peu à peu.

L’état ultime de limpidité est ce qu’on appelle la réalisation spirituelle. Toutes les émotions négatives, tous les voiles qui masquent la connaissance sont alors dissous. Il ne s’agit pas d’anéantir le ‟moi”, lequel n’a jamais véritablement existé, mais simplement de démasquer son imposture. En fait, si ce ‟moi” avait une existence intrinsèque, on ne pourrait jamais le faire passer de l’existence à la non-existence.

La réincarnation n’est pas la renaissance d’un “moi”

Tout d’abord, il faut bien comprendre que ce qu’on appelle réincarnation dans le bouddhisme n’a rien à voir avec la transmigration d’une ‟entité” quelconque, rien à voir avec la métempsycose.

Tant que l’on raisonne en termes d’entités plutôt que de fonction, de continuité de l’expérience, le concept bouddhiste de renaissance ne peut pas être compris. Il est dit ‟qu’aucun fil ne passe au travers des perles du collier des renaissances.”

Il n’y a pas identité d’une ‟personne” au travers de renaissances successives, mais conditionnement d’un flot de conscience

(à suivre…)

Exemples d’altruisme véritable

Nous serions très heureux de recevoir des témoignages, anecdotes et récits concernant des actions dont tout indique qu’elles relèvent d’un altruisme authentique. 

Il peut s’agir d’exemples dont vous avez été témoin ou dont vous avez entendu parler, de faits contemporains ou appartenant à un passé lointain ; d’actes héroïques ou de manifestations de fraternité et de dévouement dans la vie quotidienne, de comportements bienveillants et désintéressés, inspirés par le souci d’autrui et le sens de la solidarité.

L’altruisme peut être défini comme « un état mental désirant le bien-être d’autrui ». Il peut être considéré comme authentique si l’accomplissement du bien d’autrui constitue la motivation première et le but ultime d’un comportement particulier. L’altruisme peut qualifier un état mental momentané, ou correspondre à une disposition durable, à une manière d’être.

Pour être véritablement altruiste un acte ne doit pas être motivé par le désir d’en retirer des avantages personnels, à court ou à long terme, ni par l’envie d’être loué ou de recevoir des marques de gratitude, ou par la crainte d’être critiqué si l’on s’abstient de venir au secours de l’autre. De même, une action ne sera pas altruiste si l’on agit dans le seul but de soulager la détresse personnelle que l’on ressent devant la souffrance de l’autre.

Si vous souhaitez partager avec nous des anecdotes inspirantes, des documents en fichier attaché ou des références de publications, veuillez cliquer sur le lien http://www.altruism-forum.fr

L’hypothèse faite par Daniel Batson d’un altruisme véritable

Lors des réunions préparatoires à la conférence de l’Institut Mind and Life sur « L’altruisme et la compassion en économie » (qui se tiendra à Zurich du 9 au 11 avril 2010, voir www.compassionineconomics.org), j’ai eu la chance de passer quelque temps avec Daniel Batson, un éminent psychologue américain, professeur à l’université du Kansas à présent à la retraite, que je souhaitais rencontrer depuis des années.

Daniel Batson a le mérite d’avoir montré de manière très convaincante que l’altruisme véritable existe bien. Cela peut sembler évident pour beaucoup, mais c’est contraire à la vision dominante de la psychologie occidentale, qui est celle de l’égoïsme universel. Selon elle, tout comportement apparemment altruiste est déterminé par une motivation intéressée (« Gratter un peu la peau d’un altruiste et voyez saigner l’hypocrite », est leur slogan)

Un comportement faussement altruiste peut être motivé par la recherche de récompenses matérielles, sociales ou personnelles, ou le souci d’éviter des sanctions, ou celui de réduire la détresse que l’on ressent devant le spectacle de la souffrance d’autrui, ou alors tout simplement le constat que ça « fait du bien ».

Mais il existe aussi une autre conception des choses, selon laquelle certains comportements et motivations sont authentiquement altruistes. L’hypothèse de l’existence d’un altruisme fondé sur l’empathie, émise par Daniel Batson, le conduit à définir la sollicitude empathique comme un état d’esprit tourné vers autrui, né d’une aptitude innée à évaluer le bien-être de l’autre et à percevoir les besoins de l’autre. La sollicitude empathique fait naître une motivation altruiste, qui est « un état de la motivation tendue vers ce but ultime d’accroître le bien-être d’autrui »

Daniel Batson et son collaborateur ont mené plus de 35 expériences pour établir l’existence de l’altruisme fondé sur l’empathie par opposition à ces autres modèles plausibles de type égocentrique. La seule conclusion raisonnable de ces expériences semble être que l’existence d’un altruisme fondé sur l’empathie est établie et que le répertoire des motivations humaines ne se limite pas à l’égoïsme.

image

L’Université de Nalanda

Après Kusinagar et Kesaria, le pèlerinage nous a conduits à la grande Université de Nalanda située à environ 90 km au SE de Patna et à quelques kilomètres de Rajgir.

Nalanda fut une des premières universités du monde et la plus grande université bouddhiste de l’histoire. Elle fut établie au temps de la dynastie Gupta pendant le règne de l’empereur Karagupta. Le complexe fut érigé en briques rouges et ses ruines s’étendent sur 14 hectares.

On dit que le Bouddha a séjourné plusieurs fois à Nalanda. Plus tard, l’empereur Ashoka (250 BC) y construisit un stupa à la mémoire de Sharipoutra, un des deux plus proches disciples du Bouddha. Les ruines de ce stupa sont aujourd’hui le plus grand monument de Nalanda (voir photo ci-dessous).

Beaucoup de grands panditas indiens, dont Nagarjouna, Aryadéva, Chandrakirti et Shantidéva, enseignèrent à Nalanda.

Au sommet de sa gloire, Nalanda abritait plus de 10.000 étudiants et 2.000 professeurs. L’université était considérée comme un chef d’œuvre architectural, elle était caractérisée par un hall élevé et un portail. Nalanda comportait huit ensembles de bâtiments et dix temples en plus de nombreuses salles de méditations et d’étude. Elle était entourée de parcs et de lacs.

Les sujets enseignés à l’Université de Nalanda couvraient chaque domaine de la connaissance ce qui attirait des étudiant de Corée, du Japon, de Chine, du Tibet, d’Indonésie, de Perse et de Turquie. Les étudiants apprenaient les sciences, l’astronomie, la médecine et principalement la métaphysique et la philosophie.

La librairie de Nalanda appelée Dharma Gunj (Montagne de Vérité) ou Dharmagañja (Trésor de Vérité) rassemblait la collection de connaissances bouddhistes la plus connue du monde. Cette collection était réputée pour comprendre des centaines de milliers de volumes. Quand, en 1193, elle fut incendiée par les envahisseurs musulmans menés par le Turc Bakhtiar Khilji, elle brûla pendant des mois.

Sa Sainteté le Dalai Lama dit souvent que la tradition tibétaine du bouddhisme fait partie de la tradition de Nalanda. On peut donc dire que les érudits actuels du bouddhisme tibétain gardent vivante la tradition de l’Université de Nalanda.

imageimageMoines Thaï passant devant le stoupa de Shariputra