Réunion de l’ONU sur le bien-être et le bonheur: Définition d’un nouveau paradigme économique

Le 19 Juillet dernier, 68 pays ont rejoint le Royaume du Bhoutan pour co-parrainer une résolution intitulée «Le bonheur: Vers une approche holistique du développement,” qui a été adoptée par consensus par les 193 membres de l’Assemblée générale des Nations Unies. Dans le suivi de la résolution, le Gouvernement du Bhoutan a organisé une réunion de haut niveau le 2 Avril 2012 au siège des Nations Unies à New York.

La réunion a été très constructive et animée et des progrès encourageants ont été accomplis dans la promotion d’un mouvement mondial pour mettre en œuvre un nouveau paradigme économique basé non pas sur le PIB, mais sur la prise en compte la satisfaction de vie des gens et sur le respect de l’environnement et des richesses naturelles.

Outre le Bhoutan et le Costa-Rica, les gouvernements du Brésil et le Japon ont pris des mesures importantes afin d’inclure BNB (Bonheur National Brut) dans l’agenda national.

A cette occasion, le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a déclaré: ‟La prospérité matérielle est importante, mais elle est loin d’être le seul déterminant du bien-être. […] Le Bhoutan a reconnu la suprématie de bonheur national sur le revenu national depuis les années 1970. Il a adopté le célèbre le but du Bonheur National Brut au lieu du Produit National Brut. Une telle vision est en train de gagner du terrain dans d’autres pays. Le Costa Rica est connu pour être le pays le plus « vert » au monde – un exemple de développement global et écologiquement responsable. Comparé aux autres pays avec des niveaux de revenu similaires, il se classe premier dans le développement humain et est un havre de paix et de démocratie.

Au Royaume-Uni, les statisticiens commencent à évaluer le ‟bien-être national”. La Commission européenne a son projet « PIB et au-delà », tandis que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a ses lignes directrices de mesure du bien-être.

Le Produit National Brut a longtemps été l’aune à laquelle les économies et les politiciens ont été mesurés. Pourtant, il ne parvient pas à prendre en compte les coûts sociaux et environnementaux du soi-disant progrès. Nous avons besoin d’un nouveau paradigme économique qui reconnaît la parité entre les trois piliers du développement durable. Social, économique et bien-être environnemental sont indivisibles. Ensemble, ils définissent le bonheur brut mondial. […]

Le monde est à un carrefour. Nous avons besoin de tous – ministres du gouvernement et des décideurs, des chefs d’entreprise et la société civile, et les jeunes — pour œuvrer ensemble à la transformation de nos économies … à mettre nos sociétés sur un pied plus juste et plus équitable … et de protéger les ressources et les écosystèmes sur lesquels notre avenir commun dépend. Nous avons besoin d’un résultat à l’issu de Rio +20 qui reflète cela. Un résultat qui affirme que le bonheur et le bien-être seront mesurés en plus du revenu national brut – et que ce sont des objectifs fondamentaux en eux-mêmes ‟.

Les débats peuvent être vu à http://www.gnhc.gov.bt/2012/04/un-webcast-on-happiness-and-wellbeing-high-level-panel-discussion/

Ma modeste contribution vient à 1.58:30 à la partie I (la fenêtre du bas de l’écran d’ouverture).

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H.E Ban Ki-moon, Secretaire Général des Nations Unies

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H.E Jigmi Y. Thinley, Primier Ministre du Bhoutan

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Lord Richard Layard,_Professeur Emérite, London_School_of_Economics.

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Dr Vandana Shiva, Fondatrice de Navdanya

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Matthieu Ricard, monastère de Shéchèn

Pourquoi la torture est aussi inefficace qu’inacceptable : deux preuves expérimentales

Au XVIIIe siècle, Un juge milanais ne croyait pas que la torture pouvait avoir une quelconque valeur comme technique d’obtention d’une confession fiable de la part d’un criminel présumé. Ainsi, il tua sa mule, accusa son serviteur de ce crime, et le fit torturer. L’homme avoua le crime et refusa de se rétracter même sur l’échafaud, de peur d’être à nouveau torturé. Bien sûr, le juge lui épargna la vie.

Le juge milanais abolit alors l’utilisation de la torture dans les affaires devant sa cour. L’écrivain Daniel Mannix raconte une autre histoire illustrant l’inutilité de la torture:

Le Duc de Brunswick en Allemagne fut tellement choqué par les méthodes utilisées par les inquisiteurs dans son duché qu’il demanda à deux célèbres savants jésuites de superviser les audiences. Suite à une étude approfondie, les jésuites dirent au Duc, «Les inquisiteurs font leur devoir. Ils arrêtent seulement des personnes qui ont été mises en cause par les confessions d’autres sorcières. »

« Accompagnez-moi donc à la chambre de torture», suggéra le Duc. Les prêtres suivirent et découvrirent une infortunée étendue sur un chevalet. « Permettez-moi de lui poser des questions », proposa le Duc. « Maintenant, femme, vous avez confessé être une sorcière. Je soupçonne ces deux hommes d’être des sorciers. Qu’en dites-vous? Un autre tour du chevalet, vous autres bourreaux. »

« Non, non! » cria la femme. « Vous avez tout à fait raison ; je les ai souvent vu au Sabbat. Ils savent se transformer en chèvres, loups, et autres animaux. »

« Que savez-vous de plus sur eux? » demanda le Duc.

« Plusieurs sorcières ont eu des enfants d’eux. Une femme a même eu huit enfants engendrés par ces hommes. Les enfants avaient des têtes de crapaud et des jambes d’araignée. » 

Traduction de l’auteur d’extraits de: Pinker, S. (2011). The better angels of our nature: Why violence has declined. Viking Adult.

La dame des mots, une profonde leçon d’humanité

« La dame des mots », c’est ainsi qu’Eve fut appelée par l’un de ces enfants pour qui les mots sont un mystère, ces enfants qui souffrent de ne pouvoir s’exprimer, de ne pouvoir s’ouvrir à la lecture, à l’écriture, à ces mondes si différents du leur. Eve, par modestie, ne souhaitait pas donner ce titre à son livre : « C’est un livre sur les enfants, disait-elle, pas sur moi ». J’ai insisté, soutenant que cette belle expression était propre à inspirer. Un autre de ces enfants, en visite dans l’établissement après sa scolarité, voulant se rappeler au bon souvenir d’Eve mais ne se rappelant plus son nom, dit à un autre enseignant qui lui demandait qui il cherchait : « Vous savez, c’est la dame qui m’a ouvert l’esprit. »

Pendant près de quarante ans, Eve a exercé le métier d’orthophoniste dans trois centres de la Ville de Paris. Atteinte précocement, elle avait juste trente-huit ans ans, par la maladie de Parkinson, Eve réagit avec un grand courage et de la façon la plus constructive possible, comme elle le décrit dans son émouvant récit Parkinson Blues. En dépit de sa maladie, elle a continué à se dévouer à plein temps aux enfants, « des enfants pas fréquentables, ceux qu’on ne voit jamais dans les goûters d’anniversaire… des champions en grossièretés… ».

Et pourtant, en dépit de trente-six ans de service à Sainte Anne et dans ces autres institutions de la Ville de Paris, en dépit de son dévouement sans bornes auprès des enfants défavorisés dont elle s’occupait, Eve est toujours restée vacataire — vacances sans solde et embauche au même titre qu’une débutante à chaque rentrée, ce qui n’était pas conforme à la loi. Finalement, par une ironie du sort, elle fut titularisée deux ans avant l’âge de la retraite ! Pour cela elle dut, à cinquante-huit ans, passer un examen face à de jeunes orthophonistes qui comptaient beaucoup moins d’années d’expérience professionnelle qu’elle. L’un des examinateurs lui demanda : « Quelle est, selon vous, la qualité principale qu’un orthophoniste doit manifester en exerçant son métier ? » – « Sur le plan personnel ou sur le plan professionnel ? » – « Une qualité personnelle. ». « Une chose m’est venue immédiatement à l’esprit, et m’a paru évidente, dit Eve, et j’ai répondu ‟être aimante”».

« Être aimante » : voilà bien le chemin que nous ouvre son livre, La dame des mots, qui vient de paraître aux Editions NiL — le récit d’une vie consacrée à des enfants qui manquaient si souvent d’amour.

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La dame des mots, une profonde leçon d’humanité — 2

Un jour, ma sœur Eve s’aperçut par hasard que l’un des enfants dont elle s’occupait depuis plus d’un an, en tant qu’orthophoniste dédiées aux enfants les plus négligés, avait finalement appris à lire, et faisait donc semblant d’être encore illettré. La raison de sa dissimulation finit par transparaître : il ne voulait pas être privé d’une présence chaleureuse, aimante et rassurante qui lui faisait tant défaut dans sa vie. Et s’accrochait ainsi à son incapacité de lire comme à une bouée de sauvetage, lui qui était par ailleurs constamment plongé dans un flot d’hostilités.

« Certains enfants », me raconte encore Eve dont le livre, La dame des mots, vient de sortir aux Editions NiL, « n’étaient mutiques qu’à l’école. L’un d’entre eux n’a pas prononcé un mot avec nous pendant quatre ans, mais sitôt dehors, il papotait avec la boulangère.

— Comment cela se fait-il ?

— Il parlait à la boulangère parce qu’il lui achetait des pains au chocolat ! »

Comme elle le souligne, « l’intégration est un mot et reste un mot. Ne pas parler, c’est la façon de ces enfants de dire non à l’éducation, parce que ce n’est pas leur culture et qu’ils ne veulent pas trahir leur culture. L’éducation les met en porte à faux avec leur père et leur mère qui ne savent ni lire ni écrire. En général, tout notre travail consiste à faire accepter le savoir aux enfants. »

Le Dalaï-lama et l’« âge de la femme

Récemment, lors de sa visite à Yeunten Ling, un centre bouddhiste renommé à Huy, en Belgique. Sa Sainteté a parlé du rôle des femmes dans la société :

« Les tribus nomades qui vivaient de chasse ou de cueillette étaient des sociétés égalitaires non régies par des chefs. Puis vint l’âge de l’agriculture sédentaire et le début de l’accumulation des richesses. Des fauteurs de troubles se manifestèrent et il devint nécessaire de faire appel à des chefs pour maintenir l’ordre. La force physique étant essentielle à cet égard, la domination des mâles s’instaura.

« Puis vint l’âge de l’éducation, de l’intelligence et de la raison, autant de domaines dans lesquels la femme et l’homme sont égaux. Bien qu’il reste de grands progrès à accomplir, nous sommes à présent entrés dans l’âge de l’égalité entre hommes et femmes.

« Si l’on veut préparer l’avenir, il semble bien que la qualité suprême, celle dont la société a le plus besoin, est l’altruisme, la disposition à prendre soin des autres et à être concerné par leur sort. Or, les femmes sont naturellement plus disposées à la sollicitude et à la compassion que les hommes. Cela vient sans doute originellement de l’instinct maternel qui les pousse à être attentionnées à l’égard de l’enfant qui dépend d’elle, à se demander s’il souffre, s’il a soif, à être plus encline que l’homme à prodiguer affection et compassion. Placés devant la nécessité de favoriser le développement d’une société plus altruiste, il semble donc souhaitable, d’entrer désormais dans l’« âge de la femme ». Pour ma part, je me considère donc comme un « féministe. »

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Lorsque le Dalaï-lama exposa ce point de vue à la conférence de la Paix de Vancouver en 2009 (ainsi qu’à Huy en Belgique il y a quelques jours), conférence à laquelle participaient cinq femmes prix Nobel de la Paix, Mary Robinson, première présidente femme de l’Irlande et ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, commenta : « Si je me dis féministe, ça ne surprend personne. Mais si le Dalaï-lama se dit féministe, voilà qui frappe vraiment les esprits ! »

Le Dalaï-lama ajoute fréquemment que s’il s’avère que ce temps viendra où les femmes exerceront une influence plus grande dans la société, un prochain Dalaï-lama non seulement pourrait être une femme, mais devrait l’être.

La dame des mots, une profonde leçon d’humanité — 3

L’empathie nous fait entrer en résonnance affective avec l’autre, mieux ressentir ses besoins. Les enfants dont s’occupaient ma sœur Eve, orthophoniste pendant prés de quarante ans, refusaient parfois de parler. Il fallait, à chaque séance journalière, des mois durant, il faut rester à l’écoute de son silence.

L’espoir d’une ouverture est toujours présent, comme dans le cas de cet enfant qui n’écrivait que des mots orduriers et qui, un jour, a découvert avec Eve la beauté des mots. À la fin, il a posé sa craie et déclaré, émerveillé : « Plus tard, je veux être poème ».

L’histoire des enfants que Eve nous conte dans La Dame des mots, nous rappelle que la violence domestique est la première violence dans le monde, et que ses principales victimes en sont les femmes et les enfants. Les parents de l’une des petites protégées d’Eve battaient systématiquement les leurs: donner des baffes, c’était donner une éducation. Il avaient eux-mêmes maltraités dans leur enfance et, .comme si souvent, , le cycle de la violence se reproduisait. « Ils donnaient à leurs enfants des baffes à leur dévisser la tête » raconte Eve, « et quand on leur a dit : ‟Vous ne devez pas frapper vos enfants”, le pére a répondu : ‟Mais je ne les frappe pas… je n’ai pas de bâton ! ” »

Mais ce lent et persévérant travail connaît aussi ses moments de grâce.

« Deux parents avaient une attitude flagrante de rejet vis-à-vis de leur enfant, et je me rappelle avoir dit une fois à l’un deux : ‟Mais regardez votre enfant, comme il est beau.” Les parents ont été interloqués et, entendant ces mots, l’enfant s’est soudainement déployé. Il est littéralement devenu beau, parce qu’il avait une belle expression. Il se sentait regardé autrement, et les parents, eux aussi, le regardaient autrement, pas comme un enfant raté. Par mon regard, celui que je portais sur leur enfant, les parents ont pu porter un autre regard, et l’enfant s’est transformé. »

Le plus bel hommage rendu à Eve est sans doute celui d’une de ses anciennes élèves, Lala, qui, la retrouvant des années plus tard, alors qu’elle était sortie d’affaire, avait trouvé un travail, fondé une famille et menait une vie équilibrée, lui dit simplement : « Nous avons fait un sacré chemin ensemble. »

L’histoire d’Elissa

Elissa vivait près de New York. En 1996, alors qu’elle voyageait en Bosnie, on lui montra la lettre d’un jeune garçon, Kenen, qui avait perdu les deux bras et demandait de l’aide pour se faire faire des prothèses. Emue par son cas, Elissa contacta des hôpitaux et des compagnies aériennes et, dans les 24 heures, elle avait trouvé le moyen de faire venir l’enfant à New York afin qu’il y soit appareillé. Elle hébergea Kenen chez elle pendant les quatre mois nécessaires à la fabrication des prothèses et la rééducation.

Cet événement encouragea Elissa à en faire davantage. Elle créa une petite ONG, Global Medical Relief Fund, pour offrir des soins médicaux et des prothèses à des enfants victimes de guerre en Bosnie, au Libéria, en Irak, en Somalie et autres pays.

« Le courage de ces enfants est incroyable», dit-elle, « un petit garçon que je viens d’amener ici a perdu la vue et un bras. J’ai consulté une vingtaine de spécialistes, mais ses yeux étaient trop abîmés pour permettre une greffe de la cornée. Par contre, il a maintenant un bras tout neuf. » A un journaliste qui lui demandait comment il se sentait, il répondit avec un grand sourire : « Maintenant, avec mon bras, je peux chercher mon chemin ».

Elissa et son mari ont finalement gardé Kenen auprès d’eux. « C’est un exemple pour tous les enfants que j’amène ici. Ils le regardent et disent : « S’il y arrive, lui, un triple amputé, moi aussi je peux le faire ».

A la question : « Pensez-vous que tout le monde puisse être capable d’un dévouement semblable au vôtre ? » Elissa répond : « Oui, quiconque a de l’amour dans son cœur. C’est tout ce qu’il faut. »

Un détail intéressant. Avant son voyage en Bosnie, Elissa souffrait d’une anxiété chronique débilitante. A mesure qu’elle s’est consacrée aux autres, ses crises d’anxiété ont diminué, jusqu’à disparaître.

D’après Stephen G. Post, (2011). The Hidden Gifts of Helping

L’incroyable histoire de Joynal Abedin

A 61 ans, au Bengladesh, Joynal Abedin pédale toute la journée sur un « rickshaw », un gros tricycle commun en Asie, avec une banquette à l’arrière, prévue pour deux personnes et mais sur laquelle il n’est pas rare que trois ou quatre passagers prennent place. Abedin gagne l’équivalent de 4 euros par jour.

« Mon père est mort parce que nous ne pouvions pas l’emmener à l’hôpital, qui était une marche de deux jours à partir de là. J’étais tellement en colère. Les gens ici pensent que parce que nous sommes pauvres, nous sommes impuissants. Je voulais prouver qu’ils ont tort. » Joynal Abedin partit pour la ville avec une seule chose en tête : construire un hôpital dans son village, Tanhashadia. Il se promit de revenir seulement quand il aurait suffisamment d’argent pour commencer.

Il pédala ainsi sur son rickshaw pendant trente ans, mettant chaque jour de côté la moitié de ses gains. A l’âge de 60 ans, il avait enfin épargné 3000 euros, de quoi commencer son projet. Il revint au village et put réaliser son rêve : il construisit l’hôpital.

Au début, il ne réussit pas à trouver des médecins. « Ils ne me faisaient pas confiance » dit-il ; il commença donc avec du personnel paramédical. Mais rapidement, les gens commencèrent à apprécier le travail incroyable qu’il accomplissait, et de l’aide vint à lui. Maintenant, l’hôpital du village, bien que modeste, traite 300 patients par jour. L’hôpital est maintenu grâce aux contributions minimes payées par les patients, auxquelles s’ajoutent les dons, souvent anonymes, qui ont commencé à affluer après que les journaux aient commencé à parler de son histoire.

A 62 ans, Abedin pédale toujours sur son rickshaw, transportant infatigablement des passagers, épargnant chaque coup de pédale pour aider les autres.

BBC, World Service, Outlook, 21 Mars, 2012 (en anglais)

Reportage télévisé (en anglais)

L’histoire de Stan Brock: à la fois Indiana Jones et Gandhi

Stan Brock, né en Grande-Bretagne, est le fondateur de RAM (« Remote Area Medical Foundation »), une fondation américaine qui offre des services de santé gratuits aux Etats-Unis et à des tribus amazoniennes. Stan Brock commença à travailler comme cowboy dans la savane de Guyane, sur l’un des plus grands ranchs de bétail au monde. Ayant grandi parmi les Wapishana et d’autres tribus vivant à la frontière de la forêt amazonienne, il apprit leurs dialectes, devint un expert sur les forêts équatoriales et leurs habitants, et découvrit même une nouvelle espèce de chauve-souris.

Stan fut témoin du drame subi par des tribus qui furent presque entièrement décimées par des maladies bénignes du simple fait qu’elles n’avaient aucun accès à des services médicaux même primaires. En 1953, Stan faillit mourir quand un cheval lui donna un coup de pied dans la tête car le docteur le plus proche se trouvait à 26 jours de marche. « J’ai survécu à la malaria, la fièvre dengue, et la leishmaniose, sans l’aide d’un médecin, mais d’autres n’eurent pas la même chance et il m’a fallu enterrer nombreux d’entre eux. » Il jura de créer un accès à des soins de santé dans cette région éloignée et dans d’autres. Il obtint son permis de pilote, trouva un petit avion, et commença à apporter de l’aide médicale aux gens, et même aux animaux, de cette région isolée.

Stan impressionna les réalisateurs de ‟Wild Kingdom”, une série américaine télévisée à succès, quand il filma sa lutte avec un anaconda.(1) Il devint rapidement célèbre comme l’homme qui savait maîtriser les serpents géants des eaux amazoniennes et faire face aux lions rugissants des plaines africaines. Mais il n’était pas à la recherche de la célébrité : « j’ai donc décidé que je devais arrêter tout ça et consacrer mon temps à quelque chose qui en vaut la peine. »

Stan vendit alors tout ce qu’il possédait et créa RAM, une fondation qui offre des soins médicaux gratuits aux populations des jungles de Guyane et d’autres régions isolées.

En 1992, RAM se développa afin de pouvoir fournir des services de santé aux innombrables américains trop pauvres pour pouvoir payer leurs soins. « C’est très triste de voir que le type de service que nous fournissons est devenu un besoin dans le pays le plus riche du monde. » RAM devint la seule organisation non gouvernementale de bienfaisance aux Etats-Unis qui offre gratuitement aux gens des soins dentaires, oculaires, et médicaux, sans restriction et sans poser de question. RAM s’occupe également des soins vétérinaires d’animaux de compagnie. 

Grâce à ses cliniques mobiles dirigées par une petite armée de volontaires qui se déplacent avec des camions remplis d’équipements, fauteuils dentaires, et fournitures médicales, RAM a à ce jour fourni des services de santé à plus d’un demi-million de patients aux Etats-Unis. Les volontaires établissent leurs camps pendant la nuit sur des terrains désertés, dans des entrepôts, où là où ils trouvent de la place, et à 5h30 du matin les portes des cliniques s’ouvrent pour accueillir les milliers de patients venus faire la queue pendant la nuit.

A 48 ans, Teresa Casey, qui avait lutté pendant six ans contre un cancer et une maladie dégénérative des os, n’avait pas les centaines de dollars nécessaires pour payer les prothèses dentaires dont elle avait besoin. « Cette somme représentait tous mes revenus, » dit-elle. Heureusement, elle put bénéficier de l’aide de RAM. La sécurité sociale pour soins de santé aux Etats-Unis est un véritable labyrinthe brutal à naviguer, et la situation fait que des millions d’Américains qui travaillent ne peuvent toujours pas se permettre le coût de leurs soins de santé.(2)

Des centaines de volontaires assurent leurs propres frais, et complètent les fournitures des cliniques mobiles avec leur propre équipement, simplement pour le privilège d’offrir des soins de santé gratuits à ceux qui en ont besoin. Comme le dit Stan, « Nous fonctionnons entièrement grâce à la générosité des américains. J’aurais aimé pouvoir dire que nous sommes soutenus par des grosses structures aux Etats-Unis, mais ce n’est pas le cas. Donc ce sont les petits chèques de ceux qui nous envoient 5 ou dix dollars qui nous permettent de fonctionner. »

Au cours de ces dernières années, plus de 70 000 personnes ont fait don de leur temps et de leur expertise à la fondation de Stan. Nombreux d’entre eux travaillent à plein temps la semaine comme docteur ou infirmière, dans des hôpitaux ou à leur cabinet, et font ensuite du volontariat les weekends. RAM met en place chaque année environ 25 cliniques mobiles qui servent chacune plusieurs centaines de patients à la fois.

Stan Brock n’a ni maison ni salaire, et ni compte bancaire ni possessions. Il dort à même le sol de son bureau, travaille 365 jours par an, et vit de riz, de légumes secs, et de fruits. En riant, il explique que dans le cadre de sa vie dédiée à la philanthropie, il a pris vœu de pauvreté. « Je suppose que je suis un Directeur Général indigent, » dit-il avec humour. Stan fait également preuve de beaucoup d’humilité, et dévie rapidement toute louange vers les volontaires qui ont apporté leur aide au cours des années. « Ce sont ces volontaires qui permettent aux patients de ne plus souffrir, ou d’aller mieux et de mieux se porter, » dit-il. « Ce sont eux les héros. Tout ce que je fais, moi, c’est venir et donner un coup de main pour porter le matériel. »

A la fois Indiana Jones et Gandhi, Stan semble incapable de perdre son temps. Il pilote souvent les petits avions qui apportent aide médicale et professionnels de santé aux tribus en Guyane, ainsi que l’avion-cargo qui date de la Seconde guerre mondiale et qui porte les fauteuils dentaires à destination d’une clinique dans les collines du Tennessee. La flotte aérienne offerte à RAM compte 5 avions.

A 77 ans, Stan mène aujourd’hui ces missions avec la même vigueur dont il a toujours fait preuve. Il est partout à la fois, posant des questions, vérifiant les procédures, délégant les tâches, se déplaçant toujours avec un objectif en tête. « C’est ce que je fais. C’est ma passion. C’est ce qui compte le plus pour moi. »

(1) http://www.youtube.com/watch?v=T8s_g2v9M1

(2) Voir Guy Adams, ‟The brutal truth about America’s healthcare” The Independent, 15 août 2009; Allie Torgan, ‟Former cowboy flying free health care to those in need” CNN Heroes, 6 avril 2012; et Ariel Leve, ‟Saint Stan Brock: who are you?” London Times Online, 5 avril 2009. 

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L’Ermite

La vocation de l’ermite est souvent mal comprise. L’ermite ne se retire pas du monde parce qu’il se sent rejeté, parce qu’il n’a rien trouvé de mieux à faire que d’errer dans les montagnes ou parce qu’il est incapable de faire face à ses responsabilités. S’il prend cette décision qui peut paraître extrême, c’est qu’il s’est rendu compte qu’il ne peut pas contrôler son esprit et résoudre le problème du bonheur et de la souffrance au milieu des activités sans fin de la vie ordinaire, aussi futiles que distrayantes. Il ne fuit pas le monde, il prend ses distances par rapport à lui pour le mettre en perspective et mieux percevoir son fonctionnement. Il ne fuit pas non plus ses semblables, il a besoin de temps pour cultiver l’amour et la compassion authentiques que n’affecteront pas les préoccupations ordinaires comme le plaisir et le déplaisir, le gain et la perte, la louange et le blâme. Comme le musicien qui fait ses gammes ou l’athlète qui entraîne son corps, il lui faut du temps, de la concentration et une pratique assidue pour maîtriser son esprit chaotique, pénétrer le sens de la vie, puis mettre sa sagesse au service des autres. Sa devise pourrait être : ‟ Se transformer soi-même pour mieux transformer le monde. ”

Les situations agitées de la vie ordinaire, en effet, rendent très difficiles le progrès dans la pratique, et pour développer sa force intérieure, il est préférable de se consacrer uniquement à l’entraînement de l’esprit pendant le temps qui sera nécessaire. L’animal blessé se cache dans la forêt pour guérir de ses blessures avant de pouvoir gambader à nouveau comme il lui plaît. Nos blessures à nous, ce sont celles de l’égoïsme, de la malveillance, de l’attachement, et des autres toxines mentales.

L’ermite ne ‟ pourrit pas dans sa cellule ”, comme certains l’ont écrit. Ceux qui ont fait l’expérience de ce dont ils parlent vous diront plutôt qu’il mûrit dans son ermitage. Pour celui qui demeure dans la fraîcheur de la pleine conscience du moment présent, le temps n’a pas la lourdeur des jours passés dans la distraction, mais la légèreté du vécu pleinement savouré. Si l’ermite perd le goût de certaines préoccupations ordinaires, ce n’est pas que son existence est devenue insipide, c’est qu’il reconnaît, parmi toutes les activités humaines possibles, celles qui contribuent véritablement à son propre épanouissement et au bonheur des autres.