L’empathie nous fait entrer en résonnance affective avec l’autre, mieux ressentir ses besoins. Les enfants dont s’occupaient ma sœur Eve, orthophoniste pendant prés de quarante ans, refusaient parfois de parler. Il fallait, à chaque séance journalière, des mois durant, il faut rester à l’écoute de son silence.
L’espoir d’une ouverture est toujours présent, comme dans le cas de cet enfant qui n’écrivait que des mots orduriers et qui, un jour, a découvert avec Eve la beauté des mots. À la fin, il a posé sa craie et déclaré, émerveillé : « Plus tard, je veux être poème ».
L’histoire des enfants que Eve nous conte dans La Dame des mots, nous rappelle que la violence domestique est la première violence dans le monde, et que ses principales victimes en sont les femmes et les enfants. Les parents de l’une des petites protégées d’Eve battaient systématiquement les leurs: donner des baffes, c’était donner une éducation. Il avaient eux-mêmes maltraités dans leur enfance et, .comme si souvent, , le cycle de la violence se reproduisait. « Ils donnaient à leurs enfants des baffes à leur dévisser la tête » raconte Eve, « et quand on leur a dit : ‟Vous ne devez pas frapper vos enfants”, le pére a répondu : ‟Mais je ne les frappe pas… je n’ai pas de bâton ! ” »
Mais ce lent et persévérant travail connaît aussi ses moments de grâce.
« Deux parents avaient une attitude flagrante de rejet vis-à-vis de leur enfant, et je me rappelle avoir dit une fois à l’un deux : ‟Mais regardez votre enfant, comme il est beau.” Les parents ont été interloqués et, entendant ces mots, l’enfant s’est soudainement déployé. Il est littéralement devenu beau, parce qu’il avait une belle expression. Il se sentait regardé autrement, et les parents, eux aussi, le regardaient autrement, pas comme un enfant raté. Par mon regard, celui que je portais sur leur enfant, les parents ont pu porter un autre regard, et l’enfant s’est transformé. »
Le plus bel hommage rendu à Eve est sans doute celui d’une de ses anciennes élèves, Lala, qui, la retrouvant des années plus tard, alors qu’elle était sortie d’affaire, avait trouvé un travail, fondé une famille et menait une vie équilibrée, lui dit simplement : « Nous avons fait un sacré chemin ensemble. »