La dame des mots, une profonde leçon d’humanité

« La dame des mots », c’est ainsi qu’Eve fut appelée par l’un de ces enfants pour qui les mots sont un mystère, ces enfants qui souffrent de ne pouvoir s’exprimer, de ne pouvoir s’ouvrir à la lecture, à l’écriture, à ces mondes si différents du leur. Eve, par modestie, ne souhaitait pas donner ce titre à son livre : « C’est un livre sur les enfants, disait-elle, pas sur moi ». J’ai insisté, soutenant que cette belle expression était propre à inspirer. Un autre de ces enfants, en visite dans l’établissement après sa scolarité, voulant se rappeler au bon souvenir d’Eve mais ne se rappelant plus son nom, dit à un autre enseignant qui lui demandait qui il cherchait : « Vous savez, c’est la dame qui m’a ouvert l’esprit. »

Pendant près de quarante ans, Eve a exercé le métier d’orthophoniste dans trois centres de la Ville de Paris. Atteinte précocement, elle avait juste trente-huit ans ans, par la maladie de Parkinson, Eve réagit avec un grand courage et de la façon la plus constructive possible, comme elle le décrit dans son émouvant récit Parkinson Blues. En dépit de sa maladie, elle a continué à se dévouer à plein temps aux enfants, « des enfants pas fréquentables, ceux qu’on ne voit jamais dans les goûters d’anniversaire… des champions en grossièretés… ».

Et pourtant, en dépit de trente-six ans de service à Sainte Anne et dans ces autres institutions de la Ville de Paris, en dépit de son dévouement sans bornes auprès des enfants défavorisés dont elle s’occupait, Eve est toujours restée vacataire — vacances sans solde et embauche au même titre qu’une débutante à chaque rentrée, ce qui n’était pas conforme à la loi. Finalement, par une ironie du sort, elle fut titularisée deux ans avant l’âge de la retraite ! Pour cela elle dut, à cinquante-huit ans, passer un examen face à de jeunes orthophonistes qui comptaient beaucoup moins d’années d’expérience professionnelle qu’elle. L’un des examinateurs lui demanda : « Quelle est, selon vous, la qualité principale qu’un orthophoniste doit manifester en exerçant son métier ? » – « Sur le plan personnel ou sur le plan professionnel ? » – « Une qualité personnelle. ». « Une chose m’est venue immédiatement à l’esprit, et m’a paru évidente, dit Eve, et j’ai répondu ‟être aimante”».

« Être aimante » : voilà bien le chemin que nous ouvre son livre, La dame des mots, qui vient de paraître aux Editions NiL — le récit d’une vie consacrée à des enfants qui manquaient si souvent d’amour.

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