Dernièrement, dans un vol international alors que le repas venait d’être servi, mon voisin, un jeune américain du Midwest, me demanda avec une pointe d’étonnement :
— Etes-vous végétarien ?
— Oui.
— Pensez-vous que la viande est quelque chose d’impur ?
— Pas du tout, mais je ne veux pas causer de mal en mangeant.
— Mais tous les animaux se mangent les uns les autres. C’est la nature.
— C’est possible, mais moi je ne les mange pas.
— Si un de ces animaux était là, il pourrait vous manger !
— Certainement, mais d’après moi ce n’est une raison suffisante pour que moi je le mange. Comme le disait George Bernard Shaw, « Les animaux sont mes amis et je ne mange pas mes amis ».
— Oh, les animaux sont vos amis….
— Oui.
— Voilà qui est intéressant.
Adaptation: résignation ou liberté?
Dernièrement, dans une conversation avec des penseurs nord-américains, j’ai dit que l’entraînement de l’esprit par la méditation pouvait permettre à des individus de modifier leur perception de situations pénibles et les aider à développer des facultés utiles pour mieux affronter les hauts et les bas de l’existence.
On me répondit avec vigueur que préconiser une telle adaptation était très dangereux. Cela reviendrait à dire aux esclaves peinant dans les galères et aux autres opprimés que la seule chose à faire est de méditer pour apprendre à se satisfaire de son sort plutôt que de réclamer la justice et la fin de l’oppression. Cela encouragerait toute personne exploitée par d’autres à développer une attitude de résignation passive. Cela ne serait pas acceptable.
Manifestement il y avait un malentendu important entre nous.
Développer la capacité intérieure de faire face avec force, confiance et une certaine dose de sérénité aux circonstances de la vie, qu’elles soient heureuses ou malheureuses, est un immense atout. En aucun cas cela n’est synonyme de résignation impuissante ou d’injustice tolérée. Il s’agit avant tout d’éviter de devenir deux fois esclave : esclave des autres et esclave de son propre esprit.
Il est vital que tout en faisant tout ce qui est concevable pour vaincre l’iniquité, l’oppression et la négligence, et s’efforcer d’accéder à une liberté extérieure, on parvienne aussi intérieurement à se libérer d’états mentaux douloureux. La force intérieure, en tant qu’elle est l’opposé de la vulnérabilité, est le meilleur moyen de développer une détermination sans faille à changer les circonstances extérieures, chaque fois que c’est possible.
Quelqu’un qui est continuellement à la merci de son propre esprit peut aisément être dépassé par des difficultés qui sont internes et externes à la fois. Quelle que soit la nature des circonstances extérieures, c’est l’esprit qui traduit ces circonstances en bonheur ou malheur. Eviter d’être anéanti par des événements néfastes n’est pas se résigner. Comme le disent souvent le Dalai Lama et d’autres maîtres bouddhistes : «Face à une situation difficile, si quelque chose peut être entrepris, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Si rien ne peut l’être, il n’est pas utile de s’inquiéter ».
Bien comprise, cette attitude n’encourage personne à cultiver la passivité ; elle évite simplement de souffrir deux fois plus.
Gérer le stress et l’anxiété
Le stress est un mécanisme naturel qui mobilise toutes nos énergies pour faire face à une urgence–fuir devant un éléphant qui charge, par exemple. Mais si vous êtes toute la journée dans l’état de celui qui cherche à fuir un éléphant, c’est très mauvais pour la santé. Le stress chronique affaiblit le système immunitaire, abime les neurones, augmente démesurément le taux cortisol dans le sang, et ainsi de suite.
Dans la vie quotidienne, le stress peut être provoqué par un événement ponctuel, par une situation qui perdure, ou par notre manière de faire l’expérience du monde. Il naît de la difficulté que nous éprouvons à gérer ou à accepter une situation et des événements. Le stress est un concentré de contrariétés, d’espoirs et de craintes qui envahit le champ de notre conscience.
Un nombre croissant d’études scientifiques indique que la pratique de la méditation sur la pleine conscience (20 minutes par jour pendant 8 semaines) diminue significativement le stress, l’anxiété, la tendance à la colère et à la dépression.
Conseil No 1: Dénouer l’inquiétude
Dites-vous que s’il y a une solution, il n’est pas nécessaire de s’inquiéter, et s’il n’y a pas de solution, il est inutile de s’inquiéter.
Conseil No 2: Une chose à la fois.
Si vous avez beaucoup de choses à faire, faite une chose à la fois. En fin de compte, vous irez plus vite et ferez mieux les choses. Des études récentes, réalisées à l’université de Stanford, ont montré que le multitâche ne nous aide pas à mieux gérer un grand nombre d’activités simultanément: nous faisons tout plus mal et en fin de compte plus lentement. Notre efficacité ainsi que notre capacité d’attention sont diminuées.
Conseil No 3: Un brin de méditation.
Si vous êtes saisis par l’anxiété, faites une pause et essayer d’être simplement conscient de cette anxiété. A mesure que vous ‟regardez” le stress à l’aide de pleine conscience, celui-ci perd son intensité. Pourquoi ? Parce que la partie de votre esprit qui est consciente de l’anxiété n’est pas anxieuse. Elle est simplement consciente. A mesure que la pleine conscience prend de l’ampleur, l’anxiété s’estompe jusqu’à perdre sa capacité de troubler votre esprit, et céder la place à la paix retrouvée.
Ce qui n’est pas donné est perdu
Ces paroles ont été prononcées par mon ami le père Ceyrac, âgé aujourd’hui de 95 ans, qui en un demi-siècle s’est occupé de 50.000 enfants dans le sud de l’Inde. On trouve une pensée analogue dans les enseignements bouddhistes, ainsi formulée: « ce qui n’est pas fait pour le bénéfice d’autrui, ne mérite pas d’être fait ». Rechercher égoïstement le bonheur est le meilleur moyen de se rendre malheureux soi-même ainsi qu’autrui. Tout le monde y perd.
L’altruisme, la compassion et son mode d’expression naturel, la générosité, sont en revanche des attitudes diamétralement opposées: elles constituent le meilleur moyen de s’épanouir tout en se mettant au service des autres.
L’avidité est l’eau saumâtre consommée par ceux qui ont soif de satisfaction égocentrée. Ce type de soif ne peut jamais être assouvie et tourmente toujours plus. Inversement, la générosité est la pluie qui récompense, elle fertilise le champ de chacun, y compris le vôtre. Elle mène ainsi à une situation où tout le monde est gagnant.
La non-violence n’est pas une faiblesse
Lorsque nous sommes l’objet d’un abus ou d’une injustice, il est tout à fait légitime d’utiliser tous les moyens appropriés et toute la vigueur nécessaire pour y remédier, mais jamais avec de la haine.
Au plus profond de soi, il faut conserver une compassion invincible et une force intérieure inépuisable.
Il ne s’agit ni de se livrer passivement à la merci de ceux qui nous agressent, ni d’essayer de les détruire par la force, car il s’en trouvera toujours d’autres qui surgiront, mais de découvrir que l’ennemi principal qu’il faut combattre sans merci, c’est la malveillance.
C’est cela qu’il faut comprendre et, dans la mesure du possible, faire comprendre à autrui.
On dit parfois que vous êtes l’homme le plus heureux du monde ?
C’est une bonne blague dont j’ai du mal à me défaire. Cela vaut certes mieux que de passer pour l’homme le plus malheureux du monde, mais cette attribution ne repose évidemment sur aucune base scientifique.
Il y a quelques années, un documentaire sur le bonheur réalisé par la chaîne de télévision australienne ABC, auquel j’ai participé, disait dans son commentaire : « peut-être avons-nous ici affaire à l’homme le plus heureux du monde. » Fort heureusement, les choses en étaient restées là. Mais quelques années plus tard, un journaliste du journal anglais The Independent retrouva sans doute ce documentaire et titra en première page : «The happiest man in the world. » À partir de ce moment-là, je n’eut plus aucun contrôle sur les événements. Cette rumeur était censée fondée sur des bases scientifiques.
En vérité, j’ai bien participé depuis des années à des recherches en neurosciences sur les effets à long terme de la méditation sur le cerveau. Il s’avère notamment que lorsque les méditants qui ont derrière eux entre 10.000 et 50.000 heures de pratique sanguin, s’engagent dans une méditation sur la compassion, ils engendrent des oscillations cérébrales, principalement dans les fréquences gamma, d’une intensité qui n’avait jamais été décrite en neurosciences. Je n’étais pas le seul, et une quinzaine de méditants à long terme ont participé à ces recherches et ont tous montrés des résultats similaires. Du fait que l’une des zones activées lors de cette méditation, est aussi associée aux émotions positives, il n’en fallut pas plus aux journalistes pour déclarer que l’on avait trouvé l’homme le plus heureux du monde. C’est pour sur une bonne forme formule journalistique. Je me suis excusé auprès de mes amis scientifiques et ai tenté de corriger autant que possible cette exagération rocambolesque, mais cela n’a pas servi à grand-chose. J’essaie donc de prendre tout cela avec philosophie et amusement, et d’en tirer une leçon d’humilité.
Ce que je réponds, lorsqu’on me le demande, c’est que tout le monde peut être l’homme ou la femme la plus heureuse au monde : il suffit pour cela de chercher le bonheur là où il se trouve vraiment. C’est en développant la sagesse et l’amour altruiste que l’on peut effectivement, peu à peu, se débarrasser de tous nos poisons mentaux, et progresser vers un bonheur authentique.
La fonte des glaciers de l’Himalaya
Au cours des dernières années des changements dramatiques se sont produit dans l’aspect des glaciers himalayens. Ces deux images de la chaîne du Langtang et des pics environnants furent prises respectivement à la fin de Septembre 2006 et en Octobre 2009. Ces changements sont dus aux très faibles chutes de neiges annuelles et à la fonte accélérée des neiges existantes.
“Heures magiques” dans l’Himalaya
Cette image a été prise en fin d’après-midi, au Népal, cet automne. Pour équilibrer le ciel et la terre, et rétablir ce que l’œil humain voit (et que la capteur numérique ne rend pas en raison des limitations de son spectre de contraste), j’ai utilisé un filtre neutre à densité graduelle, correspondant à trois diaphragmes (Filter Singh Ray-Galen Rowell 3G).
Pour ce faire, il convient de régler l’exposition en mode manuel (pour éviter une compensation automatique qui annulerait l’effet du filtre). Il faut ensuitemesurer la lumière sur le paysage au premier plan, puis masquer le ciel à l’aide du filtre.
(Canon Mark 3Ds, 24-70mm réglé à 27 mm, f. 8.0, 1/100sec, 160 ASA)
Le triomphe éphémère de l’égoïsme sectaire
Imaginez un bateau avarié dans lequel il serait nécessaire d’utiliser toute la puissance des machines pour pomper l’eau des cales. Mais les passagers de première classe veulent continuer à utiliser l’air conditionné et autres facilités, et les passagers de deuxième classe ont pour seule préoccupation de se faire surclasser en première. Bientôt, tout le monde coule, aprés avoir utilisé ou tenté d’utiliser l’air conditionné pendant quelques heures de plus, au lieu d’être tous sauvés. Sur un bateau normal, un capitaine prend les mesures nécessaires pour empêcher le naufrage. Ici, les passagers insistaient pour être leurs propres chefs.
L’approche actuelle de l’environnement, des changements climatiques et d’autres défi pressants de notre époque (désarmement, régulation de l’avidité qui mêne le libre marché économique, etc.) est celle de tribus se disputant l’usufruit et la propriéte d’un bateau qui coule, d’une forêt en feu et d’une bombe à retardement. A Copenhagen, ils ont imposé leurs volontés… pour le moment.
Les chefs d’états se sont comportés comme les chefs de grandes tribus. Certains sont peut-être plus sages que les autres, mais ils n’ont guère d’influence sur les autres tribus, parfois même sur leur propre tribu.
Les problèmes mondiaux ne peuvent être traités que par des institutions transnationales. Dans un monde global, les chefs d’Etats devraient jouer le rôle de gouverneurs de provinces, qui administrent les affaires locales et déférer à une authorité transnationale lors le sort du monde entier est en jeu. Personne n’en veut? Bien. Alors nagez maintenant.
L’hypothèse faite par Daniel Batson d’un altruisme véritable
Lors des réunions préparatoires à la conférence de l’Institut Mind and Life sur « L’altruisme et la compassion en économie » (qui se tiendra à Zurich du 9 au 11 avril 2010, voir www.compassionineconomics.org), j’ai eu la chance de passer quelque temps avec Daniel Batson, un éminent psychologue américain, professeur à l’université du Kansas à présent à la retraite, que je souhaitais rencontrer depuis des années.
Daniel Batson a le mérite d’avoir montré de manière très convaincante que l’altruisme véritable existe bien. Cela peut sembler évident pour beaucoup, mais c’est contraire à la vision dominante de la psychologie occidentale, qui est celle de l’égoïsme universel. Selon elle, tout comportement apparemment altruiste est déterminé par une motivation intéressée (« Gratter un peu la peau d’un altruiste et voyez saigner l’hypocrite », est leur slogan)
Un comportement faussement altruiste peut être motivé par la recherche de récompenses matérielles, sociales ou personnelles, ou le souci d’éviter des sanctions, ou celui de réduire la détresse que l’on ressent devant le spectacle de la souffrance d’autrui, ou alors tout simplement le constat que ça « fait du bien ».
Mais il existe aussi une autre conception des choses, selon laquelle certains comportements et motivations sont authentiquement altruistes. L’hypothèse de l’existence d’un altruisme fondé sur l’empathie, émise par Daniel Batson, le conduit à définir la sollicitude empathique comme un état d’esprit tourné vers autrui, né d’une aptitude innée à évaluer le bien-être de l’autre et à percevoir les besoins de l’autre. La sollicitude empathique fait naître une motivation altruiste, qui est « un état de la motivation tendue vers ce but ultime d’accroître le bien-être d’autrui »
Daniel Batson et son collaborateur ont mené plus de 35 expériences pour établir l’existence de l’altruisme fondé sur l’empathie par opposition à ces autres modèles plausibles de type égocentrique. La seule conclusion raisonnable de ces expériences semble être que l’existence d’un altruisme fondé sur l’empathie est établie et que le répertoire des motivations humaines ne se limite pas à l’égoïsme.