Que faire lorsque j’ai été cause de souffrance pour autrui?

Eprouver de la culpabilité n’est d’aucune aide. En revanche, éprouver du regret peut-être un précieux moyen de progresser.

La culpabilité créé dans l’esprit l’impression que l’on est durablement et intrinsèquement indigne ; ce qui n’est vrai pour personne. Il est plus fructueux de regretter les actes négatifs que vous avez perpétrés et de prendre la résolution de ne pas répéter les mêmes erreurs, de mieux faire à l’avenir et, si possible, de réparer le tort que vous avez commis.

Le point principal est d’éviter d’être malveillant et de faire intentionnellement du mal aux autres. Toutefois, s’il vous arrive de faire souffrir autrui, résultat de votre propre confusion intérieure, blâmez la confusion, et non pas vous-même. Vous n’êtes pas la confusion, vous n’êtes pas la colère, vous n’êtes pas l’attachement, au même titre que vous n’êtes pas non plus la grippe, la fièvre ou le paludisme qui vous frappent. Vous êtes momentanément affectés par ces facteurs. Donc, même dans cette situation, il y a toujours un potentiel de changement.

Bodhgaya, le trône de diamant de l’Inde

Cinq siècles avant la naissance avant la naissance du Christ, un ascète émacié se leva de son lieu de méditation, au terme de six années passées à effectuer d’extrêmes austérités dans la forêt. Il marcha d’un pas mal assuré vers la rivière Niranjana. Il s’effondra en cours de chemin. Il revint à lui grâce à une jeune villageoise qui lui apporta du riz au lait. Après avoir recouvré ses forces et s’être baigné dans les eaux de ce fleuve tropical bordé de sable argenté et frangé de palmiers, il comprit que mortifier le corps ne mène pas à l’Eveil.

Il se dirigea vers un arbre majestueux à l’ombre duquel il s’assit, en faisant le voeu de ne pas se lever avant d’avoir compris la nature ultime de l’esprit et de la réalité. Il passa donc la nuit assis sous le Ficus religiosa que l’on appelle désormais l’Arbre de la Bodhi. Ce lieu allait être connu sous le nom de ‟Trône de Diamant de l’Inde”, l’actuel Bodhgaya et cet homme n’était autre que Siddharta Gautama qui à l’aube devint l’Eveillé, le Bouddha.

Avant l’aube et jusqu’après le crépuscule, des milliers de pèlerins font le tour de l’Arbre de la Bodhi et du Temple monumental qui le jouxte à l’arrière. Ils murmurent des mantras, égrènent leurs rosaires, chantent les paroles du Bouddha ou louent sa sagesse. Des montagnards descendus des lointaines vallées de l’Himalaya, portant encore leurs vêtements de peaux et de laine épaisse, côtoient des fidèles du Sri Lanka vêtus de coton d’un blanc immaculé, des moines Thaïlandais en robe safran, des nonnes Chinoises en bleu, des Japonais habillés de noir et des Occidentaux qui déambulent, affublés de toutes sortes de tenues. Assis à l’ombre, de vieux moines font sans cesse tourner de gros moulins à prières.

Des centaines de pèlerins, pour la plupart Tibétains, se prosternent devant le Temple. Ils n’adorent pas un dieu, mais expriment ainsi leur respect envers l’ultime sagesse du Bouddha. Les deux à trois mille prosternations qu’ils effectuent par jour, glissant sur de lisses planches de bois, sont un vibrant hommage au corps, à la parole et à l’esprit d’Eveil du Bouddha. Ils prient afin de purifier leur propre corps, parole et esprit de tout obscurcissement. Dans ce contexte, l’ennemi est l’ignorance, le champs de bataille est le samsara – le monde de l’existence conditionnée – et la victoire consiste à s’affranchir de la souffrance.

On dit que non seulement le Bouddha Shakyamouni, mais les mille et deux Bouddhas de cette ère, ont atteint et atteindront l’Eveil en ce lieu même que l’on considère comme un ‟jardin suspendu” au milieu de cet âge sombre. Le poète bouddhiste Asvagosha dénomma Bodhgaya ‟le nombril du monde”.

On pense que l’empereur Ashoka construisit le premier monument commémorant l’Eveil du Bouddha près de l’Arbre de la Bodhi, vers le IIIè siècle avant J.-C. Selon les récits détaillés de Huien Tsang, le célèbre pèlerin et érudit chinois, un édifice plus important fut érigé au VIIè siècle. Une communauté de plusieurs milliers de moines fut fondée près de ce monument. Les vagues d’invasions musulmanes qui déferlèrent au XIIè siècle firent disparaître le bouddhisme du sol indien; cet édifice fut lui aussi détruit. Au XIVè siècle, les rois de Birmanie restaurèrent le grand Temple. Mais il tomba à nouveau en ruine. Au fil du temps, le sable déposés par les inondations et le vent le recouvrirent partiellement jusqu’au XIXè siècle, moment où le royaume de Birmanie et un Anglais très déterminé, Alexander Cunningham, entreprirent de le restaurer sous sa forme actuelle. C’est ainsi que le grand Temple fut ressuscité.

Il y a trente ans, peu de pèlerins se rendaient à Bodhgaya qui se dressait sereinement au beau milieu de la campagne du Bihar. Aujourd’hui, Bodhgaya est un lieu vibrant d’une puissante et ineffable sérénité, en contraste frappant avec l’agitation chaotique de la ville voisine de Gaya. Plus d’une vingtaine de monastères de tous les pays bouddhistes ont été construits à quelques kilomètres du monument principal et abritent les pèlerins qui viennent en nombre sans cesse croissant.

Lorsque le Dalaï-lama conféra l’initiation du ‟Tantra de la Roue du Temps”, appelé Kalachakra, en 1985, deux cent mille fidèles s’étaient rassemblés pour assister à ces enseignements, y compris les principaux maîtres spirituels des différentes traditions du bouddhisme tibétain. Des milliers de gens avaient réussi à venir du Tibet. Traversant les hauts cols enneigés, ils avaient bravé les gardes-frontière afin d’échapper pour quelques semaines à la répression impitoyable du régime communiste chinois. Certains d’entre eux avaient payé de leur vie ce périlleux voyage.

Il était extraordinaire de voir ces Tibétains assis aux premiers rangs de la foule, leur rêve comblé au-delà de toute imagination. Car non seulement, ils pouvaient contempler le chef et maître spirituel qu’ils aimaient tant, mais ils pouvaient rester assis toute la journée pendant une semaine en face de lui! Animés d’une ferveur qui jaillissait du tréfonds de leur coeur, ils contemplaient le Dalaï Lama d’un regard aussi clair que le ciel.

En Occident, un tel événement aurait demandé des mois de préparation accompagnée d’une logistique sophistiquée. Ici, en l’espace d’une ou deux semaines, des milliers de tentes qui servaient de restaurants le jour et de dortoir la nuit, avaient poussé comme des champignons. Les marchands indiens étaient également au rendez-vous. Deux cent mille personnes sont venues, ont séjourné puis sont reparties sans grand tumulte. Lorsque les enseignements s’achevèrent, la foule disparut aussi soudainement qu’elle s’était formée, rappelant ces vers :

A voir des milliers de pèlerins

Qui se séparent et se dispersent,

Je songe qu’en vérité cette séparation

Illustre l’impermanence des phénomènes.

Comme les nuages d’automne, la vie est éphémère.

Parents, proches :

Passants sur la place du marché!

Telle la rosée sur le bout des tiges,

La fortune est évanescente.

Telle une bulle à la surface de l’eau,

Le corps est fragile et transitoire.

Les affaires du samsara sont futiles ;

Seul compte le saint Dharma.

La chance de s’y consacrer

N’apparaît qu’une fois : maintenant.

image Le grand stoupa de BodhgayaimageSa Sainteté le Dalaï-lama à sous l’arbre de la Bodhi imageL’arbre de la BodhiimageLe stoupa érigé en mémoire de Dilgo Khyentsé Rinpotché

Plaidoyer pour l’altruisme : La force de la bienveillance

Altruisme Couverture

Aujourd’hui, Plaidoyer pour l’altruisme sort en librairie. C’est un ouvrage sur lequel j’ai travaillé avec passion pendant cinq ans. Au cours de son élaboration j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer et dialoguer avec la plupart des penseurs et des chercheurs — neuroscientifiques, psychologues, éthologues, environnementalistes, économistes, spécialistes de l’enfance, etc. — dont je rapporte les travaux dans le livre. Toutes ces rencontres, à travers le monde, m’ont convaincu qu’il faut oser l’altruisme. Oser dire que l’altruisme véritable existe, qu’il peut être cultivé par chacun de nous, et que l’évolution des cultures peut favoriser son expansion. Oser, de même, l’enseigner dans les écoles comme un outil précieux permettant aux enfants de réaliser leur potentiel naturel de bienveillance et de coopération. Oser affirmer que l’économie ne peut se contenter de la voix de la raison et du strict intérêt personnel, mais qu’elle doit aussi écouter et faire entendre celle de la sollicitude. Oser prendre sérieusement en compte le sort des générations futures, et modifier la façon dont nous exploitons aujourd’hui la planète qui sera la leur demain. Oser, enfin, proclamer que l’altruisme n’est pas un luxe, mais une nécessité.

Ricard, M. (2013). Plaidoyer pour l’altruisme. Nil Editions.

Acheter le livre

Un évènement à ne pas manquer : le premier Symposium européen de l’Institut Mind and Life, Berlin du 10-13 Octobre 2013

Depuis 2012, l’Institut Mind and Life a créé une branche européenne, basée à Zürich. Un comité consultatif composé de scientifiques, contemplatifs, philosophes et conseillers, s’est réuni à plusieurs reprises à Paris et à Berlin. Parmi les différentes initiatives qui ont été lancées figure un symposium européen qui aura lieu à Berlin du 10 au 13 octobre 2013.

Les participants incluent des chercheurs en neurosciences, des cliniciens, des spécialistes de l’éducation, des philosophes, des économistes, et des contemplatifs, qui vont interagir autour du thème du « Changement personnel et sociétal sous l’angle des sciences contemplatives. »

Parmi les intervenants figureront des experts de renommée mondiale tels que Wolf Singer, Tania Singer, Otto Scharmer, Mark Williams, Michel Bitbol, Dennis Snower, Matthieu Ricard, et beaucoup d’autres.
Vous pouvez trouver toutes les informations et précisions nécessaires, et vous inscrire, en cliquant sur le lien suivant : www.europeansymposium.org. Des places sont encore disponibles.

L’Institut Mind and Life a maintenant 25 ans d’existence depuis qu’il a été fondé par le neuroscientifique d’origine chilienne Francisco Varela et le juriste américain Adam Engle. Au fil des ans, Mind and Life a organisé des réunions remarquables entre Sa Sainteté le Dalaï-lama et certains des plus grands scientifiques de notre temps.
Au cours de dialogues d’une durée de 3 à 5 jours, ces éminents penseurs et chercheurs ont abordé les questions de la nature de la réalité, de la neuroplasticité du cerveau, de la nature de la conscience, de l’entraînement de l’esprit par la méditation, de l’éducation positive, de l’environnement, et de l’éthique.

À la suite de ces discussions, un nombre sans cesse croissant de projets de recherche sur les effets à court et long terme de la méditation a été lancé dans de nombreux laboratoires à travers le monde, y compris ceux de Richard Davidson et Antoine Lutz à Madison, Wisconsin, de Paul Ekman à San Francisco, de Cliff Saron à l’UN D’avis, et de Tania Singer à l’Institut Max Planck à Leipzig, pour n’en nommer que quelques-uns.

De nombreux luminaires contemporains font partie de l’Institut Mind and Life depuis de nombreuses années, parmi lesquels Daniel Goleman, l’auteur de L’intelligence émotionnelle et Jon Kabat-Zinn, qui le premier a lancé le programme du MBSR (Réduction du Stress par la Pleine Conscience).

J’ai eu la chance de faire partie de l’Institut Mind and Life depuis les années 2000. Depuis lors, comme cobaye sur les effets de la méditation et collaborateur, j’ai passé des douzaines d’heures dans les scanners d’IRMf, dans les laboratoires de Richard Davidson, Antoine Lutz, et Tania Singer, qui sont devenus de proches amis.

Après qu’Adam Engle ait pris sa retraite en 2013, le physicien Arthur Zajonc est devenu président de l’Institut, tandis que Diego Hangartner dirige la branche européenne.

Le Dalaï-lama décrit souvent le bouddhisme comme étant, avant tout, une science de l’esprit. L’une des grandes tragédies de notre temps est que nous sous-estimons grandement notre capacité de transformation. Pourtant, la recherche collaborative catalysée par le Mind and Life a montré qu’il est tout à fait possible de se transformer pour le plus grand bien de soi-même et de ceux qui nous entourent, en cultivant l’amour altruiste, la compassion, et la paix intérieure, pensée après pensée, jour après jour, année après année.

Muhammad Yunus, ou comment ne pas rétrécir l’être humain – 2

« Les deux tiers de la population du Bangladesh sont plongés dans la pauvreté. Ces gens-là n’ont rien à faire avec les banques. Les mains vides, ils sont impuissants. Le microcrédit est arrivé pour remplir le vide laissé par les banques. Au début, les grandes institutions financières ont déclaré que c’était impossible. Nous leur avons montré que cela fonctionnait très bien.

Grameen Bank ne fait venir aucun argent de l’extérieur. Nous recevons uniquement l’argent que les gens déposent chez nous. Il s’agit pour la plupart de femmes qui nous font de petits emprunts et nous confient aussi leurs économies, quand elles en ont un peu. Nous devons proposer aux femmes à qui nous prêtons des plans qu’elles sont capables de comprendre, et qui sont à la fois simples et attrayants. Nous avons actuellement 8,5 millions d’emprunteurs dans 80 000 villages. Ce ne sont pas les gens qui doivent venir à la banque, c’est Grameen Bank qui, chaque semaine va vers eux, jusqu’à leur porte.

Je n’ai jamais acheté ni possédé une seule action de Grameen Bank. L’argent ne m’intéresse pas. Aujourd’hui, après 37 ans d’expérience, nous prêtons chaque année 1,5 milliard de dollars. Et plus de 99 % de cette somme sont remboursés.

De nombreuses grandes compagnies possèdent des fondations caritatives. Celles-ci pourraient facilement se convertir à l’économie sociale et devenir des instruments beaucoup plus puissants. Elles ne signeront pas de chèques. Dans les entreprises sociales, vous devez vous engager vous-mêmes et apporter votre sollicitude et votre pouvoir créatif. Cela devient ainsi beaucoup plus gratifiant.

La science-fiction a toujours une longueur d’avance sur la science. Mais une grande partie de ce qu’était hier de la science-fiction est aujourd’hui de la science. De la même façon, on devrait écrire de la « sociale fiction » et inspirer les gens, qui se diraient alors : Pourquoi pas ? On n’opère pas de vrais changements en faisant simplement des prédictions. Celles-ci sont notoirement connues pour ne pas prédire correctement le futur. Personne n’a prédit la chute du mur de Berlin, ou de l’Union soviétique, mais cela s’est passé très vite. Nous devons donc imaginer le futur, puis le faire devenir réalité. »

Extraits de propos de Muhammad Yunus prononcés à l’Université de la Terre, UNESCO, à Paris, le 27 avril 2013.

Muhammad Yunus, ou comment ne pas rétrécir l’être humain – 1

« La crise d’aujourd’hui est due à l’homme, ce n’est pas comme un tsunami, un désastre naturel. Comment l’avons-nous provoquée ? Nous avons transformé le marché financier en jeu de casino. Ce marché, aujourd’hui, est commandé par l’avidité, la spéculation, et non par la production réelle. Quand vous passez de l’économie réelle à l’économie spéculative, voilà ce que vous obtenez.

Nous devons tout repenser. Quand nous ne faisons que courir après l’argent et maximiser les profits, cela devient une passion, puis une habitude. Cette activité absorbe toute notre attention et nous devenons des espèces de machines à faire de l’argent. Nous devons nous rappeler que nous sommes des êtres humains, et qu’un être humain est une entité bien plus vaste. Nous oublions notre but. Faire de l’argent ne peut pas tout résoudre. Cela nous rétrécit, nous réduit à être des machines à profit.

Quand je vois un problème, j’ai immédiatement envie de créer une activité économique qui le résoudra. L’argent des organisations caritatives ne remplit cette fonction qu’une fois. Dans l’entreprise sociale, les profits ne vont pas aux investisseurs, mais à la société. Une entreprise sociale peut devenir indépendante et avoir une durée de vie illimitée. C’est une compagnie sans dividende conçue pour résoudre des problèmes sociaux. Elle doit être efficace, pas pour gagner de l’argent, mais pour que les choses se fassent. Dans l’économie conventionnelle, l’objectif est de faire du profit. Dans l’économie sociale, l’objectif est de réaliser un projet qui profite à la communauté.

Prenons un exemple. Il y a 160 millions d’habitants au Bangladesh, et 70 % d’entre eux n’avaient pas d’électricité. Cela m’a fait penser : « Voilà une bonne occasion de faire quelque chose d’utile ». Nous avons donc créé Grameen Energy pour fournir de l’énergie solaire, renouvelable, dans les villages. Au début, nous vendions à peine une douzaine de panneaux par jour, à un prix légèrement au-dessus du prix coûtant simplement pour pouvoir maintenir l’activité. Aujourd’hui, seize ans plus tard, nous vendons mille panneaux par jour et, en novembre 2012, nous avons dépassé le chiffre symbolique d’un million de foyers équipés de systèmes solaires.

La conséquence a été que le prix des panneaux solaires a baissé. Comme, dans le même temps, celui du pétrole a flambé, il est encore plus attrayant pour les pauvres de disposer d’une énergie renouvelable. Il a fallu seize ans pour toucher un million de foyers, mais il nous faudra moins de trois ans pour en toucher un million de plus. Nous n’avons pas fait cela pour gagner de l’argent, mais pour réaliser un objectif social. Le fait d’utiliser le pétrole pour faire la cuisine et éclairer les maisons est la cause de nombreux problèmes de santé et d’incendies. L’énergie renouvelable est donc bonne à la fois pour l’environnement et pour la santé et la subsistance des gens.

Un autre exemple. Au Bangladesh, on a persuadé la fabrique de yaourts Danone d’aider à résoudre le problème de la malnutrition. Comme 48 % des enfants souffrent de malnutrition, on a mis dans les yaourts tous les nutriments indispensables, et on a fait en sorte qu’ils soient en même temps délicieux et bon marché. Si nous avons réussi, c’est parce que Danone a accepté d’agir comme une entreprise sociale, et non pour faire du profit. »

Extraits de propos de Muhammad Yunus prononcés à l’Université de la Terre, UNESCO, à Paris, le 27 avril 2013.

Plus d’armes pour moins de crimes ? C’est le monde à l’envers.

En réponse au massacre d’enfants de l’école primaire Sandy Hook à Newtown dans le Connecticut aux Etats-Unis, Wayne LaPierre, vice-président exécutif de l’association nationale d’armes (National Rifle Association), dit que « La seule chose qui peut arrêter un méchant armé, c’est un gentil armé. »

D’après Jim Wallis, un évangéliste chrétien dont l’association Sojourners a pour but de contribuer à redresser les injustices sociales, « cette réponse est au cœur du problème de la violence par arme aux Etats-Unis aujourd’hui — non seulement parce qu’elle est fausse, ce qu’elle est en en effet, mais aussi perce qu’elle est erronée sur le plan moral, dangereuse sur le plan théologique, et répugnante sur le plan religieux. »

Jim, avec qui j’ai eu l’occasion de discuter à de nombreuses reprises, donne l’exemple suivant : « le Révérend Phil Jackson, un jeune pasteur des rues très dynamique de Chicago, me dit que Chicago a compté 2400 fusillades en 2012, dont 502 ont causé des morts. Plus de 100 de ces morts étaient des enfants allant de l’école élémentaire au lycée. La grande majorité des personnes et enfants décédés étaient de couleur — afro- et latino-américains. Cela fait plus de morts par arme à Chicago que de décès parmi les troupes américaines en Afghanistan l’année dernière. Une ville seulement. »

Jim Wallis, ‟The NRA’s Dangerous Theology”, (anglais uniquement), accessible via www.sojourners.org, 17 janvier 2013.

Fazel Abed et l’extraordinaire accomplissement de BRAC

Lorsque j’ai rencontré Fazel Abed pour la première fois à Vancouver, en prenant une tasse de thé lors d’une conférence pour la paix avec Sa Sainteté le Dalaï-lama, je n’avais aucune idée de qui il était. Quand il me demanda ce que je faisais, je lui ai dit que je m’occupais d’une organisation humanitaire qui avait construit une trentaine d’écoles et une quinzaine de cliniques. Il me répondit sans la moindre affectation : « J’ai construit 35 000 écoles. » Je me suis senti tout petit. À une autre occasion, à Delhi, il m’a dit : « C’est tout simple, tu n’as qu’à multiplier ce que tu fais par cent. »

C’est en tout cas ce que lui a fait. Né au Pakistan Oriental, qui allait devenir le Bangladesh, Fazel Abed étudia d’abord l’architecture navale à l’Université de Glasgow, puis, du fait qu’il n’y avait quasiment pas de chantiers navals au Pakistan Oriental, il fit des études à Londres pour devenir expert-comptable. De retour au Pakistan Oriental, Fazel fut embauché par la compagnie Shell et gravit rapidement les échelons en raison de ses compétences. Il se trouvait posté à Londres lorsque, en 1970, un cyclone dévasta son pays, faisant 300 000 victimes. Fazel décida de quitter son emploi hautement rémunéré et de repartir au Pakistan Oriental où, avec quelques amis, il créa HELP, une organisation dont le but était d’aider les plus sinistrés de l’île de Manpura, laquelle avait perdu les trois quarts de sa population. Il fut contraint de quitter à nouveau le Pakistan Oriental lors des combats qui précédèrent la séparation d’avec le Pakistan Occidental, et il créa une ONG pour soutenir la cause de l’indépendance de son pays auprès des pays européens.

Lorsque la guerre d’indépendance fut terminée, fin 1971, Fazel vendit son appartement à Londres et partit avec tous ses biens pour voir ce qu’il pourrait apporter à son pays. Le pays sortait d’une guerre dévastatrice, et les 10 millions de personnes qui s’étaient réfugiées en Inde étaient revenues. Fazel choisit de commencer ses activités dans une région rurale reculée du nord-est, et fonda BRAC (Bangladesh Rural Advancement Committee). Grâce à son génie de l’organisation et à sa lucidité, BRAC est maintenant devenu la plus grande ONG au monde. À ce jour, cet organisme a aidé 70 millions de femmes et, en tout, plus de 110 millions de personnes dans 69 000 villages. Il emploie 80 000 bénévoles et 120 000 salariés dans un nombre sans cesse croissant de pays, en Afrique notamment, ou Fazel Abed a constaté que son modèle d’intervention à de multiples niveaux — micro-crédit (80 millions de personnes en ont bénéficié par l’intermédiaire du BRAC), éducation, gestion de l’eau potable, amélioration de l’hygiène, etc. — était tout à fait approprié et efficace dans des régions où très peu d’autres programmes avaient réussi. Il n’est pas exagéré de dire que BRAC a changé le paysage du Bangladesh. Il n’y a pas un endroit, dans les campagnes, où le sigle de BRAC n’est pas apposé sur une école, un centre de formation de femmes, ou un atelier de planning familial.

Fazel Abed a réussi son pari. Il n’a pas seulement multiplié ses activités par cent, mais par cent mille, tout en conservant la même efficacité et la même qualité. Au Forum Économique Mondial de Davos, où bon nombre de participants arrivent en jets privés à l’aéroport de Milan, puis en hélicoptère ou en limousine, un matin, à 5 heures, à la fin du Forum de 2010, je retrouvai Fazel, assis seul dans l’obscurité d’un car qui devait nous emmener à l’aéroport de Zurich. Cela en disait long, pour moi, sur la simplicité et la modestie derrière laquelle se cache l’indomptable détermination qui lui a permis d’accomplir une si grande tâche.

Paroles d’Alexandre Jollien — 3

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La violence dans les médias : « C’est une banalisation du mal qui fait croire que le sensationnel est une prise de pouvoir sur l’autre, alors que le sensationnel relève d’un héroïsme quotidien — un petit sourire réitéré à la veille dame voisine de palier, un petit coup de main. Il faut réhabiliter l’acte gratuit. »

L’instrumentalisation des animaux : « Quand l’individu devient roi, il juge tout à l’aune de ses propres intérêts et décide de la vie d’un autre être sensible. »

Sur l’environnement : « Le ‟je”, en se coupant de ce qui l’environne finit par le mépriser après l’avoir instrumentalisé. Prendre en compte les êtres qui vont naître c’est sortir du ‟moi seulement” et dilater mes intérêts pour qu’ils épousent l’ensemble des êtres sensibles. C’est à proprement parler une naissance. »

Eloge de la fraternité « La notion de fraternité nous sort d’une logique hiérarchique qui écrase l’autre. Le frère et la sœur sortent de la comparaison. Ils sont aimés pour ce qu’ils sont. Etre frère ou sœur c’est ne plus consommer l’humain mais cohabiter, vivre ensemble, œuvrer au bonheur ensembles. »

Oser l’altruisme : « L’altruisme relève d’une audace précisément parce qu’elle fait s’effondrer les anciens repères qui nous installent dans le ‟moi d’abord”. Il s’agit de réapprendre à être véritablement libre loin des aliénations qui nous rendent prisonniers de ce que nous croyons être. »