« La crise d’aujourd’hui est due à l’homme, ce n’est pas comme un tsunami, un désastre naturel. Comment l’avons-nous provoquée ? Nous avons transformé le marché financier en jeu de casino. Ce marché, aujourd’hui, est commandé par l’avidité, la spéculation, et non par la production réelle. Quand vous passez de l’économie réelle à l’économie spéculative, voilà ce que vous obtenez.
Nous devons tout repenser. Quand nous ne faisons que courir après l’argent et maximiser les profits, cela devient une passion, puis une habitude. Cette activité absorbe toute notre attention et nous devenons des espèces de machines à faire de l’argent. Nous devons nous rappeler que nous sommes des êtres humains, et qu’un être humain est une entité bien plus vaste. Nous oublions notre but. Faire de l’argent ne peut pas tout résoudre. Cela nous rétrécit, nous réduit à être des machines à profit.
Quand je vois un problème, j’ai immédiatement envie de créer une activité économique qui le résoudra. L’argent des organisations caritatives ne remplit cette fonction qu’une fois. Dans l’entreprise sociale, les profits ne vont pas aux investisseurs, mais à la société. Une entreprise sociale peut devenir indépendante et avoir une durée de vie illimitée. C’est une compagnie sans dividende conçue pour résoudre des problèmes sociaux. Elle doit être efficace, pas pour gagner de l’argent, mais pour que les choses se fassent. Dans l’économie conventionnelle, l’objectif est de faire du profit. Dans l’économie sociale, l’objectif est de réaliser un projet qui profite à la communauté.
Prenons un exemple. Il y a 160 millions d’habitants au Bangladesh, et 70 % d’entre eux n’avaient pas d’électricité. Cela m’a fait penser : « Voilà une bonne occasion de faire quelque chose d’utile ». Nous avons donc créé Grameen Energy pour fournir de l’énergie solaire, renouvelable, dans les villages. Au début, nous vendions à peine une douzaine de panneaux par jour, à un prix légèrement au-dessus du prix coûtant simplement pour pouvoir maintenir l’activité. Aujourd’hui, seize ans plus tard, nous vendons mille panneaux par jour et, en novembre 2012, nous avons dépassé le chiffre symbolique d’un million de foyers équipés de systèmes solaires.
La conséquence a été que le prix des panneaux solaires a baissé. Comme, dans le même temps, celui du pétrole a flambé, il est encore plus attrayant pour les pauvres de disposer d’une énergie renouvelable. Il a fallu seize ans pour toucher un million de foyers, mais il nous faudra moins de trois ans pour en toucher un million de plus. Nous n’avons pas fait cela pour gagner de l’argent, mais pour réaliser un objectif social. Le fait d’utiliser le pétrole pour faire la cuisine et éclairer les maisons est la cause de nombreux problèmes de santé et d’incendies. L’énergie renouvelable est donc bonne à la fois pour l’environnement et pour la santé et la subsistance des gens.
Un autre exemple. Au Bangladesh, on a persuadé la fabrique de yaourts Danone d’aider à résoudre le problème de la malnutrition. Comme 48 % des enfants souffrent de malnutrition, on a mis dans les yaourts tous les nutriments indispensables, et on a fait en sorte qu’ils soient en même temps délicieux et bon marché. Si nous avons réussi, c’est parce que Danone a accepté d’agir comme une entreprise sociale, et non pour faire du profit. »
Extraits de propos de Muhammad Yunus prononcés à l’Université de la Terre, UNESCO, à Paris, le 27 avril 2013.