Récemment, une dépêche d’un correspondant de l’AFP qui m’a aimablement interviewé dans les montagnes du Dolpo au Népal, est revenue sur l’histoire selon laquelle mon humble personne serait ‟l’homme le plus heureux du monde” (article en anglais). Je lui ai bien sûr dit que cela n’avait aucun sens et que c’était une bonne blague dont j’ai du mal à me défaire.
Cela vaut certes mieux que de passer pour l’homme le plus malheureux du monde, mais cette attribution ne repose sur aucune base scientifique. Tout le monde peut trouver le bonheur à condition de le chercher là où il se trouve. C’est en développant la sagesse et l’amour altruiste qu’il est possible, peu à peu, de se débarrasser de tous nos poisons mentaux — la malveillance, le désir, la confusion mentale, l’orgueil, la jalousie —, et de progresser vers un bonheur authentique.
Mais comment cette rumeur a-t-elle commencée ? Il y a quelques années, un documentaire sur le bonheur réalisé par la chaîne de télévision australienne ABC, auquel j’ai participé, disait dans son commentaire : « peut-être avons-nous ici à faire à l’homme le plus heureux du monde. » Fort heureusement, les choses en sont restées là. Mais quelques années plus tard, un journaliste du journal anglais The Independent retrouva sans doute ce documentaire et titra en première page : «The happiest man in the world » (« L’homme le plus heureux du monde »). À partir de ce moment-là, je n’eu plus aucun contrôle sur les événements.
Cette rumeur était censée être fondée sur des travaux scientifiques. J’ai bien participé depuis 2000 à des recherches en neurosciences sur les effets à long terme de la méditation sur le cerveau. Il s’est notamment avéré que lorsque les méditants qui ont accompli entre 10 000 et 60 000 heures de pratique s’engagent dans une méditation sur la compassion, ils engendrent des oscillations cérébrales, principalement dans les fréquences gamma, d’une intensité qui n’avait jamais été décrite en neurosciences auparavant. Je n’étais pas le seul, et une vingtaine de méditants à long terme ont participé à ces recherches et ont tous montrés des résultats similaires. L’une des aires du cerveau activée lors de cette méditation est associée aux émotions positives.
Il n’en fallut pas plus aux journalistes pour déclarer que l’on avait trouvé l’homme le plus heureux du monde ! Je me suis excusé auprès de mes amis scientifiques et ai tenté de corriger autant que possible cette exagération rocambolesque, mais cela n’a pas servi à grand-chose. J’essaie donc de prendre tout cela avec philosophie et amusement, et d’en tirer une leçon d’humilité !