L’égoïsme ne peut donc être considéré comme une façon efficace de s’aimer soi-même, puisqu’il est la cause première de notre mal-être. Il constitue une tentative particulièrement maladroite d’assurer son propre bonheur. Le psychologue Erich Fromm, rejoignant la pensée bouddhiste, éclaire ainsi ce comportement : «?S’aimer soi-même est nécessairement lié au fait d’aimer une autre personne. L’égoïsme et l’amour de soi, loin d’être identiques, sont en fait deux attitudes opposées. L’égoïste ne s’aime pas trop, mais trop peu?; en fait, il se hait.?» L’égoïste est un être qui ne fait rien de sensé pour être heureux. Il se hait parce que, sans le savoir, il fait tout ce qu’il faut pour se rendre malheureux et cet échec permanent provoque une frustration et une rage intérieure qu’il retourne contre lui et contre le monde extérieur.
Si l’égocentrisme est une constante source de tourments, il en va tout autrement de l’altruisme et de la compassion. Sur le plan de l’expérience vécue, l’amour altruiste s’accompagne d’un profond sentiment de plénitude et, comme nous le verrons par ailleurs, c’est aussi l’état d’esprit qui déclenche l’activation la plus importante des aires cérébrales associées aux émotions positives. On pourrait dire que l’amour altruiste est la plus positive de toutes les émotions positives.
De plus, l’altruisme est en adéquation avec la réalité de ce que nous sommes et de ce qui nous entoure, à savoir le fait que tout est foncièrement interdépendant. La perception habituelle de notre vie quotidienne peut nous porter à croire que les choses ont une réalité objective et indépendante, mais, en fait, elles n’existent qu’en dépendance d’autres choses.
La compréhension de cette interdépendance universelle est la source même de l’altruisme le plus profond. En comprenant à quel point notre existence physique, notre survie, notre confort, notre santé, etc. dépendent des autres et de ce que nous fournit le monde extérieur — remèdes, nourriture, etc. — il devient facile de nous mettre à leur place, de vouloir leur bonheur, de respecter leurs aspirations et de nous sentir intimement concernés par l’accomplissement de ces aspirations.