Vues d’en haut de l’Inde, de la Birmanie, et de la Thailande

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Le Brahmapoutre, traversant le nord-est de l’Inde, vu du vol Druk Air entre Paro (Bhoutan) et Bangkok (Thaïlande)

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L’estuaire de l’Irrawady en Birmanie, vu d’un vol entre Kathmandou (Népal) et Bangkok (Thaïlande)

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La côte de Thaïlande au bord de la Mer d’Andaman, au coucher du soleil, vue du vol Druk Air entre Paro (Bhoutan) et Bangkok (Thaïlande)

Le Mont Everest, le toit du monde, vu d’en haut

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La chaîne de l’Everest, le Toit du Monde, vue du poste de pilotage du vol Druk Air entre Kathmandou (Népal) et Paro (Bhoutan)

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Mont Everest, le Toit du Monde, vue du poste de pilotage du vol Druk Air entre Kathmandou (Népal) et Paro (Bhoutan)

Plaidoyer pour l’altruisme : La force de la bienveillance

Altruisme Couverture

Aujourd’hui, Plaidoyer pour l’altruisme sort en librairie. C’est un ouvrage sur lequel j’ai travaillé avec passion pendant cinq ans. Au cours de son élaboration j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer et dialoguer avec la plupart des penseurs et des chercheurs — neuroscientifiques, psychologues, éthologues, environnementalistes, économistes, spécialistes de l’enfance, etc. — dont je rapporte les travaux dans le livre. Toutes ces rencontres, à travers le monde, m’ont convaincu qu’il faut oser l’altruisme. Oser dire que l’altruisme véritable existe, qu’il peut être cultivé par chacun de nous, et que l’évolution des cultures peut favoriser son expansion. Oser, de même, l’enseigner dans les écoles comme un outil précieux permettant aux enfants de réaliser leur potentiel naturel de bienveillance et de coopération. Oser affirmer que l’économie ne peut se contenter de la voix de la raison et du strict intérêt personnel, mais qu’elle doit aussi écouter et faire entendre celle de la sollicitude. Oser prendre sérieusement en compte le sort des générations futures, et modifier la façon dont nous exploitons aujourd’hui la planète qui sera la leur demain. Oser, enfin, proclamer que l’altruisme n’est pas un luxe, mais une nécessité.

Ricard, M. (2013). Plaidoyer pour l’altruisme. Nil Editions.

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L’homme le plus heureux du monde ?

Récemment, une dépêche d’un correspondant de l’AFP qui m’a aimablement interviewé dans les montagnes du Dolpo au Népal, est revenue sur l’histoire selon laquelle mon humble personne serait ‟l’homme le plus heureux du monde” (article en anglais).  Je lui ai bien sûr dit que cela n’avait aucun sens et que c’était une bonne blague dont j’ai du mal à me défaire.

Cela vaut certes mieux que de passer pour l’homme le plus malheureux du monde, mais cette attribution ne repose sur aucune base scientifique. Tout le monde peut trouver le bonheur à condition de le chercher là où il se trouve. C’est en développant la sagesse et l’amour altruiste qu’il est possible, peu à peu, de se débarrasser de tous nos poisons mentaux — la malveillance, le désir, la confusion mentale, l’orgueil, la jalousie —, et de progresser vers un bonheur authentique.

Mais comment cette rumeur a-t-elle commencée ? Il y a quelques années, un documentaire sur le bonheur réalisé par la chaîne de télévision australienne ABC, auquel j’ai participé, disait dans son commentaire : « peut-être avons-nous ici à faire à l’homme le plus heureux du monde. » Fort heureusement, les choses en sont restées là. Mais quelques années plus tard, un journaliste du journal anglais The Independent retrouva sans doute ce documentaire et titra en première page : «The happiest man in the world » (« L’homme le plus heureux du monde »). À partir de ce moment-là, je n’eu plus aucun contrôle sur les événements.

Cette rumeur était censée être fondée sur des travaux scientifiques. J’ai bien participé depuis 2000 à des recherches en neurosciences sur les effets à long terme de la méditation sur le cerveau. Il s’est notamment avéré que lorsque les méditants qui ont accompli entre 10 000 et 60 000 heures de pratique s’engagent dans une méditation sur la compassion, ils engendrent des oscillations cérébrales, principalement dans les fréquences gamma, d’une intensité qui n’avait jamais été décrite en neurosciences auparavant. Je n’étais pas le seul, et une vingtaine de méditants à long terme ont participé à ces recherches et ont tous montrés des résultats similaires. L’une des aires du cerveau activée lors de cette méditation est associée aux émotions positives.

Il n’en fallut pas plus aux journalistes pour déclarer que l’on avait trouvé l’homme le plus heureux du monde ! Je me suis excusé auprès de mes amis scientifiques et ai tenté de corriger autant que possible cette exagération rocambolesque, mais cela n’a pas servi à grand-chose. J’essaie donc de prendre tout cela avec philosophie et amusement, et d’en tirer une leçon d’humilité !

Un évènement à ne pas manquer : le premier Symposium européen de l’Institut Mind and Life, Berlin du 10-13 Octobre 2013

Depuis 2012, l’Institut Mind and Life a créé une branche européenne, basée à Zürich. Un comité consultatif composé de scientifiques, contemplatifs, philosophes et conseillers, s’est réuni à plusieurs reprises à Paris et à Berlin. Parmi les différentes initiatives qui ont été lancées figure un symposium européen qui aura lieu à Berlin du 10 au 13 octobre 2013.

Les participants incluent des chercheurs en neurosciences, des cliniciens, des spécialistes de l’éducation, des philosophes, des économistes, et des contemplatifs, qui vont interagir autour du thème du « Changement personnel et sociétal sous l’angle des sciences contemplatives. »

Parmi les intervenants figureront des experts de renommée mondiale tels que Wolf Singer, Tania Singer, Otto Scharmer, Mark Williams, Michel Bitbol, Dennis Snower, Matthieu Ricard, et beaucoup d’autres.
Vous pouvez trouver toutes les informations et précisions nécessaires, et vous inscrire, en cliquant sur le lien suivant : www.europeansymposium.org. Des places sont encore disponibles.

L’Institut Mind and Life a maintenant 25 ans d’existence depuis qu’il a été fondé par le neuroscientifique d’origine chilienne Francisco Varela et le juriste américain Adam Engle. Au fil des ans, Mind and Life a organisé des réunions remarquables entre Sa Sainteté le Dalaï-lama et certains des plus grands scientifiques de notre temps.
Au cours de dialogues d’une durée de 3 à 5 jours, ces éminents penseurs et chercheurs ont abordé les questions de la nature de la réalité, de la neuroplasticité du cerveau, de la nature de la conscience, de l’entraînement de l’esprit par la méditation, de l’éducation positive, de l’environnement, et de l’éthique.

À la suite de ces discussions, un nombre sans cesse croissant de projets de recherche sur les effets à court et long terme de la méditation a été lancé dans de nombreux laboratoires à travers le monde, y compris ceux de Richard Davidson et Antoine Lutz à Madison, Wisconsin, de Paul Ekman à San Francisco, de Cliff Saron à l’UN D’avis, et de Tania Singer à l’Institut Max Planck à Leipzig, pour n’en nommer que quelques-uns.

De nombreux luminaires contemporains font partie de l’Institut Mind and Life depuis de nombreuses années, parmi lesquels Daniel Goleman, l’auteur de L’intelligence émotionnelle et Jon Kabat-Zinn, qui le premier a lancé le programme du MBSR (Réduction du Stress par la Pleine Conscience).

J’ai eu la chance de faire partie de l’Institut Mind and Life depuis les années 2000. Depuis lors, comme cobaye sur les effets de la méditation et collaborateur, j’ai passé des douzaines d’heures dans les scanners d’IRMf, dans les laboratoires de Richard Davidson, Antoine Lutz, et Tania Singer, qui sont devenus de proches amis.

Après qu’Adam Engle ait pris sa retraite en 2013, le physicien Arthur Zajonc est devenu président de l’Institut, tandis que Diego Hangartner dirige la branche européenne.

Le Dalaï-lama décrit souvent le bouddhisme comme étant, avant tout, une science de l’esprit. L’une des grandes tragédies de notre temps est que nous sous-estimons grandement notre capacité de transformation. Pourtant, la recherche collaborative catalysée par le Mind and Life a montré qu’il est tout à fait possible de se transformer pour le plus grand bien de soi-même et de ceux qui nous entourent, en cultivant l’amour altruiste, la compassion, et la paix intérieure, pensée après pensée, jour après jour, année après année.

Plus d’armes à feu pour moins de décès ?

Un nouveau terrible massacre a récemment eu lieu aux Etats-Unis, dans le Colorado, la mort de 12 personnes et de graves blessures à 58 autres. Cet incident s’est passé à seulement 27 km de du lycée de Columbine où 12 élèves avaient été tués par deux autres en 1999.

Ce type d’incident devrait pousser les américains à remettre en question leurs lois, selon lesquelles la vente d’armes n’est contrôlée par aucune réelle restriction ou règlementation, et ce même en ce qui concerne les armes automatiques et de guerre. Dans certains Etats, n’importe qui ayant un casier judiciaire vierge peut entrer dans un des nombreux magasins d’armes à feu et se constituer un arsenal. La tendance actuelle dans certains Etats, tels que le Texas, est non pas de durcir la règlementation relative à la vente d’armes, mais au contraire de l’assouplir, facilitant ainsi davantage l’achat d’armes par les particuliers. L’association nationale pour les armes à feu (la National Rifle Association) compte 4,3 millions de membres, faisant d’elle l’un des lobbys les plus influents de Washington.

D’après un sondage effectué en 2011 par Gallup, qui révèle un pourcentage historiquement bas, 26% seulement des américains seraient favorables à une interdiction légale de possession d’armes à feu aux Etats-Unis, exception faite de la police et d’autres personnes autorisées. En outre, le pourcentage d’américains en faveur de l’idée d’une restriction de la législation en matière d’armes à feu n’a jamais été aussi bas (43%). Enfin, 44% des personnes interrogées préféreraient que la règlementation demeure inchangée, alors que 11% seraient favorables à une règlementation moins stricte.

Certains hommes politiques ont réagi au massacre d’Aurora en soulignant le besoin de développer la règlementation en matière de vente d’armes. Michael Bloomberg, maire de la ville de New York, a notamment affirmé que « bien que les paroles apaisantes soient appréciées, il serait temps que les deux personnes qui souhaitent être Président des Etats-Unis réagissent et nous expliquent les mesures qu’ils comptent prendre, car il s’agit clairement ici d’un problème national. »

Au lendemain du massacre de la salle de cinéma d’Aurora au Colorado, les gens, endeuillés, insistaient sur la nécessité d’entraide entre communautés, sur le besoin de voir justice rendue, etc. Cependant, très peu de personnes interrogées à la radio et lors de programmes télévisés ont abordé le fait que tant que les armes à feu pourront être achetées par tout un chacun, et donc être à la disposition de gens fous, de telles tragédies ne pourront que se répéter.

Le fait incroyable est que la demande d’armes à feu a augmenté de 43% dans la semaine suivant le massacre « Batman » ! Bien loin d’être dégoutés des causes de ce bain de sang, les habitants du Colorado se sont précipités pour s’armer. Pendant cette période, le nombre de personnes souhaitant apprendre à se servir d’une arme a également grimpé. Le candidat républicain à la présidence, Mitt Romney, a quant à lui déclaré qu’il n’était pas nécessaire de changer la législation.

Le propriétaire d’un magasin d’armes à feu du centre-ville de Denver, au Colorado, témoigna à la radio BBC : « il est vrai que les ventes ont grandement augmenté. Cela ne m’a pas surpris, au contraire nous nous y attendions. Les gens ont tendance à prendre plus de responsabilités quant à leur propre protection. » Ce vendeur d’armes semble croire que plus il y aura d’armes, plus les gens seront en sécurité ; il ajoute que « l’on voit des choses terribles se passer dans des zones où il y a pas d’armes à feu, non pas dans les régions où tout le monde est armé. Je pense que ça aurait été mieux si un plus grand nombre de personnes dans le cinéma étaient armées ; ils auraient pu abattre l’agresseur ». C’est le retour du Wild West !

Comme l’a écrit le commentateur de CNN Fareed Zakaria, « Les Etats-Unis se distinguent du reste du monde non pas parce qu’ils ont plus de fous — je pense qu’on peut partir du principe que de telles personnes sont distribuées à parts égales dans toutes les sociétés — mais parce qu’ils ont plus d’armes. » La carte ci-dessous montre pour chaque pays du monde le nombre moyen d’armes à feu pour 100 personnes. La plupart des pays sont ombrés en vert clair ; l’on constate chez eux entre zéro et 10 armes à feu pour 100 habitants. Dans les pays de couleur marron foncé cependant, l’on compte plus de 70 armes pour 100 habitants. Les Etats-Unis sont le seul pays dans cette catégorie. D’ailleurs, d’après le dernier sondage national sur les petites armes à feu (Small Arms Survey), les Etats-Unis comptent 88 armes à feu pour 100 américains. Le Yemen est à la seconde place de ce classement avec 54 armes pour 100 personnes, et la Serbie et l’Irak sont dans les 10 premiers. Ainsi, les Etats-Unis comptent 5% de la population mondiale mais 50% de ses armes à feu.

James Holmes, le tueur d’Aurora, avait acheté pour 2 000 dollars d’armes dans un magasin du coin, et 6 000 cartouches de munitions sur internet. Ce genre d’opération est très facile à faire, il suffit d’un click ! Si une augmentation des armes à feu est censée contribuer à une meilleure sécurité publique, l’on doit se demander pourquoi dans la partie ouest de l’Europe, où la vente d’armes aux particuliers est extrêmement réglementée, l’on constate en moyenne dix fois moins de décès par armes à feu qu’aux Etats-Unis. Les Etats-Unis ont dix fois plus d’homicides pour 100 000 personnes qu’en Inde et 20 fois plus qu’en Australie et en Angleterre.

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Muhammad Yunus, ou comment ne pas rétrécir l’être humain – 2

« Les deux tiers de la population du Bangladesh sont plongés dans la pauvreté. Ces gens-là n’ont rien à faire avec les banques. Les mains vides, ils sont impuissants. Le microcrédit est arrivé pour remplir le vide laissé par les banques. Au début, les grandes institutions financières ont déclaré que c’était impossible. Nous leur avons montré que cela fonctionnait très bien.

Grameen Bank ne fait venir aucun argent de l’extérieur. Nous recevons uniquement l’argent que les gens déposent chez nous. Il s’agit pour la plupart de femmes qui nous font de petits emprunts et nous confient aussi leurs économies, quand elles en ont un peu. Nous devons proposer aux femmes à qui nous prêtons des plans qu’elles sont capables de comprendre, et qui sont à la fois simples et attrayants. Nous avons actuellement 8,5 millions d’emprunteurs dans 80 000 villages. Ce ne sont pas les gens qui doivent venir à la banque, c’est Grameen Bank qui, chaque semaine va vers eux, jusqu’à leur porte.

Je n’ai jamais acheté ni possédé une seule action de Grameen Bank. L’argent ne m’intéresse pas. Aujourd’hui, après 37 ans d’expérience, nous prêtons chaque année 1,5 milliard de dollars. Et plus de 99 % de cette somme sont remboursés.

De nombreuses grandes compagnies possèdent des fondations caritatives. Celles-ci pourraient facilement se convertir à l’économie sociale et devenir des instruments beaucoup plus puissants. Elles ne signeront pas de chèques. Dans les entreprises sociales, vous devez vous engager vous-mêmes et apporter votre sollicitude et votre pouvoir créatif. Cela devient ainsi beaucoup plus gratifiant.

La science-fiction a toujours une longueur d’avance sur la science. Mais une grande partie de ce qu’était hier de la science-fiction est aujourd’hui de la science. De la même façon, on devrait écrire de la « sociale fiction » et inspirer les gens, qui se diraient alors : Pourquoi pas ? On n’opère pas de vrais changements en faisant simplement des prédictions. Celles-ci sont notoirement connues pour ne pas prédire correctement le futur. Personne n’a prédit la chute du mur de Berlin, ou de l’Union soviétique, mais cela s’est passé très vite. Nous devons donc imaginer le futur, puis le faire devenir réalité. »

Extraits de propos de Muhammad Yunus prononcés à l’Université de la Terre, UNESCO, à Paris, le 27 avril 2013.

Seul, au milieu de tous

D’après la sociologue américaine Sherry Turkle, les médias dit « sociaux » sont en fait des moyens d’être seul tout en étant connecté à beaucoup de monde.  Un jeune homme de 16 ans qui fonctionne principalement par l’intermédiaire de « textos » remarquait avec un certain regret : « Un jour, un jour, mais surement pas maintenant, j’aimerai apprendre comment avoir une conversation. » Les jeunes sont passés de la conversation à la connexion. Lorsque vous avez 3000 « amis » sur Facebook, vous ne pouvez évidemment avoir de véritable conversation. Vous ne faites que vous connecter pour parler de vous-mêmes à un auditoire garanti. Les conversations électroniques sont lapidaires, rapides et parfois brutales. Les conversations humaines, face à face, sont de nature différente : elles évoluent plus lentement, sont pleines de nuances et nous apprennent la patience. Dans la conversation, nous sommes appelés à voir les choses d’un autre point de vue, une condition nécessaire à l’empathie et l’altruisme.

Beaucoup de gens sont aujourd’hui prêts à parler à des machines qui semblent se soucier d’eux. Les chercheurs sont en train d’inventer des robots sociaux, conçus pour être des compagnons pour les personnes âgées et les enfants. Sherry Turkle raconte avoir vu une personne âgée se confier à un robot de bébé phoque et lui parler de la perte de son enfant. Le robot semblait la regarder dans les yeux et suivre la conversation. La femme s’en disait réconfortée. L’individualisme conduirait-il ainsi à un appauvrissement des relations humaines et à une solitude telle que l’on ne puisse plus trouver de compassion que chez un robot ? Nous semblons de plus en plus attirés par les technologies qui fournissent l’illusion de la compagnie sans les exigences des relations humaines. Nous risquons ainsi de n’avoir de sympathie que pour nous-mêmes et de gérer les joies et les peines de l’existence dans la bulle de l’égocentricité.

Les gens disent souvent « personne ne m’écoute ». Facebook et Twitter leur offrent maintenant des auditeurs automatiques. De fait, il a été montré que les médias sociaux sont principalement des moyens de se promouvoir soi-même.

Curieusement, l’expansion de ces pseudo relations humaines va de pair avec une crainte de la solitude. Les gens ont maintenant peur d’être seuls avec eux-mêmes. Abandonné à eux-mêmes, ils éprouvent le besoin de se connecter. D’après Turkle, ils sont maintenant passés du stade « je ressent quelque chose, je vais le partager en envoyant un message, » à l’impulsion « Je veux ressentir quelque chose ; j’ai besoin d’envoyer un texto. »

N’ayant pas la capacité d’être seul avec soi-même, nous nous tournons vers d’autres personnes, non pas pour établir une relation altruiste et nous intéressser à ce qu’ils sont et à leur situation, mais pour les utiliser comme des pièces de rechange pour soutenir nos personnalités de plus en plus fragiles. Nous pensons qu’être constamment « en contact » nous fera sentir moins seul. C’est l’inverse qui est vrai. Si nous sommes incapables d’être seul, nous sommes beaucoup susceptibles de souffrir de la solitude. Une enquête a révélé qu’un américain ordinaire ressentait un profond sentiment de solitude une fois par quinzaine en moyenne. D’après Turkle, « Si nous n’apprenons pas à nos enfants à être seuls, ils ne sauront que souffrir de la solitude. »

Il faut aussi renouer l’habitude des conversations et en fournir l’opportunité, dans les lieux de travail et dans les familles. Ceux qui participent souvent à des conférences et des réunions savent que c’est souvent durant les « pauses café », que les conversations et les interactions les plus fructueuses prennent place.

Article basé sur:

SHERRY TURKLE ‟Alone Together: Why We Expect More From Technology and Less From Each Other.”

SHERRY TURKLE, New York Times , The Flight from conversation, April 24, 2012

Muhammad Yunus, ou comment ne pas rétrécir l’être humain – 1

« La crise d’aujourd’hui est due à l’homme, ce n’est pas comme un tsunami, un désastre naturel. Comment l’avons-nous provoquée ? Nous avons transformé le marché financier en jeu de casino. Ce marché, aujourd’hui, est commandé par l’avidité, la spéculation, et non par la production réelle. Quand vous passez de l’économie réelle à l’économie spéculative, voilà ce que vous obtenez.

Nous devons tout repenser. Quand nous ne faisons que courir après l’argent et maximiser les profits, cela devient une passion, puis une habitude. Cette activité absorbe toute notre attention et nous devenons des espèces de machines à faire de l’argent. Nous devons nous rappeler que nous sommes des êtres humains, et qu’un être humain est une entité bien plus vaste. Nous oublions notre but. Faire de l’argent ne peut pas tout résoudre. Cela nous rétrécit, nous réduit à être des machines à profit.

Quand je vois un problème, j’ai immédiatement envie de créer une activité économique qui le résoudra. L’argent des organisations caritatives ne remplit cette fonction qu’une fois. Dans l’entreprise sociale, les profits ne vont pas aux investisseurs, mais à la société. Une entreprise sociale peut devenir indépendante et avoir une durée de vie illimitée. C’est une compagnie sans dividende conçue pour résoudre des problèmes sociaux. Elle doit être efficace, pas pour gagner de l’argent, mais pour que les choses se fassent. Dans l’économie conventionnelle, l’objectif est de faire du profit. Dans l’économie sociale, l’objectif est de réaliser un projet qui profite à la communauté.

Prenons un exemple. Il y a 160 millions d’habitants au Bangladesh, et 70 % d’entre eux n’avaient pas d’électricité. Cela m’a fait penser : « Voilà une bonne occasion de faire quelque chose d’utile ». Nous avons donc créé Grameen Energy pour fournir de l’énergie solaire, renouvelable, dans les villages. Au début, nous vendions à peine une douzaine de panneaux par jour, à un prix légèrement au-dessus du prix coûtant simplement pour pouvoir maintenir l’activité. Aujourd’hui, seize ans plus tard, nous vendons mille panneaux par jour et, en novembre 2012, nous avons dépassé le chiffre symbolique d’un million de foyers équipés de systèmes solaires.

La conséquence a été que le prix des panneaux solaires a baissé. Comme, dans le même temps, celui du pétrole a flambé, il est encore plus attrayant pour les pauvres de disposer d’une énergie renouvelable. Il a fallu seize ans pour toucher un million de foyers, mais il nous faudra moins de trois ans pour en toucher un million de plus. Nous n’avons pas fait cela pour gagner de l’argent, mais pour réaliser un objectif social. Le fait d’utiliser le pétrole pour faire la cuisine et éclairer les maisons est la cause de nombreux problèmes de santé et d’incendies. L’énergie renouvelable est donc bonne à la fois pour l’environnement et pour la santé et la subsistance des gens.

Un autre exemple. Au Bangladesh, on a persuadé la fabrique de yaourts Danone d’aider à résoudre le problème de la malnutrition. Comme 48 % des enfants souffrent de malnutrition, on a mis dans les yaourts tous les nutriments indispensables, et on a fait en sorte qu’ils soient en même temps délicieux et bon marché. Si nous avons réussi, c’est parce que Danone a accepté d’agir comme une entreprise sociale, et non pour faire du profit. »

Extraits de propos de Muhammad Yunus prononcés à l’Université de la Terre, UNESCO, à Paris, le 27 avril 2013.

L’Ermite

La vocation de l’ermite est souvent mal comprise. L’ermite ne se retire pas du monde parce qu’il se sent rejeté, parce qu’il n’a rien trouvé de mieux à faire que d’errer dans les montagnes ou parce qu’il est incapable de faire face à ses responsabilités. S’il prend cette décision qui peut paraître extrême, c’est qu’il s’est rendu compte qu’il ne peut pas contrôler son esprit et résoudre le problème du bonheur et de la souffrance au milieu des activités sans fin de la vie ordinaire, aussi futiles que distrayantes. Il ne fuit pas le monde, il prend ses distances par rapport à lui pour le mettre en perspective et mieux percevoir son fonctionnement. Il ne fuit pas non plus ses semblables, il a besoin de temps pour cultiver l’amour et la compassion authentiques que n’affecteront pas les préoccupations ordinaires comme le plaisir et le déplaisir, le gain et la perte, la louange et le blâme. Comme le musicien qui fait ses gammes ou l’athlète qui entraîne son corps, il lui faut du temps, de la concentration et une pratique assidue pour maîtriser son esprit chaotique, pénétrer le sens de la vie, puis mettre sa sagesse au service des autres. Sa devise pourrait être : ‟ Se transformer soi-même pour mieux transformer le monde. ”

Les situations agitées de la vie ordinaire, en effet, rendent très difficiles le progrès dans la pratique, et pour développer sa force intérieure, il est préférable de se consacrer uniquement à l’entraînement de l’esprit pendant le temps qui sera nécessaire. L’animal blessé se cache dans la forêt pour guérir de ses blessures avant de pouvoir gambader à nouveau comme il lui plaît. Nos blessures à nous, ce sont celles de l’égoïsme, de la malveillance, de l’attachement, et des autres toxines mentales.

L’ermite ne ‟ pourrit pas dans sa cellule ”, comme certains l’ont écrit. Ceux qui ont fait l’expérience de ce dont ils parlent vous diront plutôt qu’il mûrit dans son ermitage. Pour celui qui demeure dans la fraîcheur de la pleine conscience du moment présent, le temps n’a pas la lourdeur des jours passés dans la distraction, mais la légèreté du vécu pleinement savouré. Si l’ermite perd le goût de certaines préoccupations ordinaires, ce n’est pas que son existence est devenue insipide, c’est qu’il reconnaît, parmi toutes les activités humaines possibles, celles qui contribuent véritablement à son propre épanouissement et au bonheur des autres.