Seul, au milieu de tous

D’après la sociologue américaine Sherry Turkle, les médias dit « sociaux » sont en fait des moyens d’être seul tout en étant connecté à beaucoup de monde.  Un jeune homme de 16 ans qui fonctionne principalement par l’intermédiaire de « textos » remarquait avec un certain regret : « Un jour, un jour, mais surement pas maintenant, j’aimerai apprendre comment avoir une conversation. » Les jeunes sont passés de la conversation à la connexion. Lorsque vous avez 3000 « amis » sur Facebook, vous ne pouvez évidemment avoir de véritable conversation. Vous ne faites que vous connecter pour parler de vous-mêmes à un auditoire garanti. Les conversations électroniques sont lapidaires, rapides et parfois brutales. Les conversations humaines, face à face, sont de nature différente : elles évoluent plus lentement, sont pleines de nuances et nous apprennent la patience. Dans la conversation, nous sommes appelés à voir les choses d’un autre point de vue, une condition nécessaire à l’empathie et l’altruisme.

Beaucoup de gens sont aujourd’hui prêts à parler à des machines qui semblent se soucier d’eux. Les chercheurs sont en train d’inventer des robots sociaux, conçus pour être des compagnons pour les personnes âgées et les enfants. Sherry Turkle raconte avoir vu une personne âgée se confier à un robot de bébé phoque et lui parler de la perte de son enfant. Le robot semblait la regarder dans les yeux et suivre la conversation. La femme s’en disait réconfortée. L’individualisme conduirait-il ainsi à un appauvrissement des relations humaines et à une solitude telle que l’on ne puisse plus trouver de compassion que chez un robot ? Nous semblons de plus en plus attirés par les technologies qui fournissent l’illusion de la compagnie sans les exigences des relations humaines. Nous risquons ainsi de n’avoir de sympathie que pour nous-mêmes et de gérer les joies et les peines de l’existence dans la bulle de l’égocentricité.

Les gens disent souvent « personne ne m’écoute ». Facebook et Twitter leur offrent maintenant des auditeurs automatiques. De fait, il a été montré que les médias sociaux sont principalement des moyens de se promouvoir soi-même.

Curieusement, l’expansion de ces pseudo relations humaines va de pair avec une crainte de la solitude. Les gens ont maintenant peur d’être seuls avec eux-mêmes. Abandonné à eux-mêmes, ils éprouvent le besoin de se connecter. D’après Turkle, ils sont maintenant passés du stade « je ressent quelque chose, je vais le partager en envoyant un message, » à l’impulsion « Je veux ressentir quelque chose ; j’ai besoin d’envoyer un texto. »

N’ayant pas la capacité d’être seul avec soi-même, nous nous tournons vers d’autres personnes, non pas pour établir une relation altruiste et nous intéressser à ce qu’ils sont et à leur situation, mais pour les utiliser comme des pièces de rechange pour soutenir nos personnalités de plus en plus fragiles. Nous pensons qu’être constamment « en contact » nous fera sentir moins seul. C’est l’inverse qui est vrai. Si nous sommes incapables d’être seul, nous sommes beaucoup susceptibles de souffrir de la solitude. Une enquête a révélé qu’un américain ordinaire ressentait un profond sentiment de solitude une fois par quinzaine en moyenne. D’après Turkle, « Si nous n’apprenons pas à nos enfants à être seuls, ils ne sauront que souffrir de la solitude. »

Il faut aussi renouer l’habitude des conversations et en fournir l’opportunité, dans les lieux de travail et dans les familles. Ceux qui participent souvent à des conférences et des réunions savent que c’est souvent durant les « pauses café », que les conversations et les interactions les plus fructueuses prennent place.

Article basé sur:

SHERRY TURKLE ‟Alone Together: Why We Expect More From Technology and Less From Each Other.”

SHERRY TURKLE, New York Times , The Flight from conversation, April 24, 2012

L’Ermite

La vocation de l’ermite est souvent mal comprise. L’ermite ne se retire pas du monde parce qu’il se sent rejeté, parce qu’il n’a rien trouvé de mieux à faire que d’errer dans les montagnes ou parce qu’il est incapable de faire face à ses responsabilités. S’il prend cette décision qui peut paraître extrême, c’est qu’il s’est rendu compte qu’il ne peut pas contrôler son esprit et résoudre le problème du bonheur et de la souffrance au milieu des activités sans fin de la vie ordinaire, aussi futiles que distrayantes. Il ne fuit pas le monde, il prend ses distances par rapport à lui pour le mettre en perspective et mieux percevoir son fonctionnement. Il ne fuit pas non plus ses semblables, il a besoin de temps pour cultiver l’amour et la compassion authentiques que n’affecteront pas les préoccupations ordinaires comme le plaisir et le déplaisir, le gain et la perte, la louange et le blâme. Comme le musicien qui fait ses gammes ou l’athlète qui entraîne son corps, il lui faut du temps, de la concentration et une pratique assidue pour maîtriser son esprit chaotique, pénétrer le sens de la vie, puis mettre sa sagesse au service des autres. Sa devise pourrait être : ‟ Se transformer soi-même pour mieux transformer le monde. ”

Les situations agitées de la vie ordinaire, en effet, rendent très difficiles le progrès dans la pratique, et pour développer sa force intérieure, il est préférable de se consacrer uniquement à l’entraînement de l’esprit pendant le temps qui sera nécessaire. L’animal blessé se cache dans la forêt pour guérir de ses blessures avant de pouvoir gambader à nouveau comme il lui plaît. Nos blessures à nous, ce sont celles de l’égoïsme, de la malveillance, de l’attachement, et des autres toxines mentales.

L’ermite ne ‟ pourrit pas dans sa cellule ”, comme certains l’ont écrit. Ceux qui ont fait l’expérience de ce dont ils parlent vous diront plutôt qu’il mûrit dans son ermitage. Pour celui qui demeure dans la fraîcheur de la pleine conscience du moment présent, le temps n’a pas la lourdeur des jours passés dans la distraction, mais la légèreté du vécu pleinement savouré. Si l’ermite perd le goût de certaines préoccupations ordinaires, ce n’est pas que son existence est devenue insipide, c’est qu’il reconnaît, parmi toutes les activités humaines possibles, celles qui contribuent véritablement à son propre épanouissement et au bonheur des autres.

L’histoire de Stan Brock: à la fois Indiana Jones et Gandhi

Stan Brock, né en Grande-Bretagne, est le fondateur de RAM (« Remote Area Medical Foundation »), une fondation américaine qui offre des services de santé gratuits aux Etats-Unis et à des tribus amazoniennes. Stan Brock commença à travailler comme cowboy dans la savane de Guyane, sur l’un des plus grands ranchs de bétail au monde. Ayant grandi parmi les Wapishana et d’autres tribus vivant à la frontière de la forêt amazonienne, il apprit leurs dialectes, devint un expert sur les forêts équatoriales et leurs habitants, et découvrit même une nouvelle espèce de chauve-souris.

Stan fut témoin du drame subi par des tribus qui furent presque entièrement décimées par des maladies bénignes du simple fait qu’elles n’avaient aucun accès à des services médicaux même primaires. En 1953, Stan faillit mourir quand un cheval lui donna un coup de pied dans la tête car le docteur le plus proche se trouvait à 26 jours de marche. « J’ai survécu à la malaria, la fièvre dengue, et la leishmaniose, sans l’aide d’un médecin, mais d’autres n’eurent pas la même chance et il m’a fallu enterrer nombreux d’entre eux. » Il jura de créer un accès à des soins de santé dans cette région éloignée et dans d’autres. Il obtint son permis de pilote, trouva un petit avion, et commença à apporter de l’aide médicale aux gens, et même aux animaux, de cette région isolée.

Stan impressionna les réalisateurs de ‟Wild Kingdom”, une série américaine télévisée à succès, quand il filma sa lutte avec un anaconda.(1) Il devint rapidement célèbre comme l’homme qui savait maîtriser les serpents géants des eaux amazoniennes et faire face aux lions rugissants des plaines africaines. Mais il n’était pas à la recherche de la célébrité : « j’ai donc décidé que je devais arrêter tout ça et consacrer mon temps à quelque chose qui en vaut la peine. »

Stan vendit alors tout ce qu’il possédait et créa RAM, une fondation qui offre des soins médicaux gratuits aux populations des jungles de Guyane et d’autres régions isolées.

En 1992, RAM se développa afin de pouvoir fournir des services de santé aux innombrables américains trop pauvres pour pouvoir payer leurs soins. « C’est très triste de voir que le type de service que nous fournissons est devenu un besoin dans le pays le plus riche du monde. » RAM devint la seule organisation non gouvernementale de bienfaisance aux Etats-Unis qui offre gratuitement aux gens des soins dentaires, oculaires, et médicaux, sans restriction et sans poser de question. RAM s’occupe également des soins vétérinaires d’animaux de compagnie. 

Grâce à ses cliniques mobiles dirigées par une petite armée de volontaires qui se déplacent avec des camions remplis d’équipements, fauteuils dentaires, et fournitures médicales, RAM a à ce jour fourni des services de santé à plus d’un demi-million de patients aux Etats-Unis. Les volontaires établissent leurs camps pendant la nuit sur des terrains désertés, dans des entrepôts, où là où ils trouvent de la place, et à 5h30 du matin les portes des cliniques s’ouvrent pour accueillir les milliers de patients venus faire la queue pendant la nuit.

A 48 ans, Teresa Casey, qui avait lutté pendant six ans contre un cancer et une maladie dégénérative des os, n’avait pas les centaines de dollars nécessaires pour payer les prothèses dentaires dont elle avait besoin. « Cette somme représentait tous mes revenus, » dit-elle. Heureusement, elle put bénéficier de l’aide de RAM. La sécurité sociale pour soins de santé aux Etats-Unis est un véritable labyrinthe brutal à naviguer, et la situation fait que des millions d’Américains qui travaillent ne peuvent toujours pas se permettre le coût de leurs soins de santé.(2)

Des centaines de volontaires assurent leurs propres frais, et complètent les fournitures des cliniques mobiles avec leur propre équipement, simplement pour le privilège d’offrir des soins de santé gratuits à ceux qui en ont besoin. Comme le dit Stan, « Nous fonctionnons entièrement grâce à la générosité des américains. J’aurais aimé pouvoir dire que nous sommes soutenus par des grosses structures aux Etats-Unis, mais ce n’est pas le cas. Donc ce sont les petits chèques de ceux qui nous envoient 5 ou dix dollars qui nous permettent de fonctionner. »

Au cours de ces dernières années, plus de 70 000 personnes ont fait don de leur temps et de leur expertise à la fondation de Stan. Nombreux d’entre eux travaillent à plein temps la semaine comme docteur ou infirmière, dans des hôpitaux ou à leur cabinet, et font ensuite du volontariat les weekends. RAM met en place chaque année environ 25 cliniques mobiles qui servent chacune plusieurs centaines de patients à la fois.

Stan Brock n’a ni maison ni salaire, et ni compte bancaire ni possessions. Il dort à même le sol de son bureau, travaille 365 jours par an, et vit de riz, de légumes secs, et de fruits. En riant, il explique que dans le cadre de sa vie dédiée à la philanthropie, il a pris vœu de pauvreté. « Je suppose que je suis un Directeur Général indigent, » dit-il avec humour. Stan fait également preuve de beaucoup d’humilité, et dévie rapidement toute louange vers les volontaires qui ont apporté leur aide au cours des années. « Ce sont ces volontaires qui permettent aux patients de ne plus souffrir, ou d’aller mieux et de mieux se porter, » dit-il. « Ce sont eux les héros. Tout ce que je fais, moi, c’est venir et donner un coup de main pour porter le matériel. »

A la fois Indiana Jones et Gandhi, Stan semble incapable de perdre son temps. Il pilote souvent les petits avions qui apportent aide médicale et professionnels de santé aux tribus en Guyane, ainsi que l’avion-cargo qui date de la Seconde guerre mondiale et qui porte les fauteuils dentaires à destination d’une clinique dans les collines du Tennessee. La flotte aérienne offerte à RAM compte 5 avions.

A 77 ans, Stan mène aujourd’hui ces missions avec la même vigueur dont il a toujours fait preuve. Il est partout à la fois, posant des questions, vérifiant les procédures, délégant les tâches, se déplaçant toujours avec un objectif en tête. « C’est ce que je fais. C’est ma passion. C’est ce qui compte le plus pour moi. »

(1) http://www.youtube.com/watch?v=T8s_g2v9M1

(2) Voir Guy Adams, ‟The brutal truth about America’s healthcare” The Independent, 15 août 2009; Allie Torgan, ‟Former cowboy flying free health care to those in need” CNN Heroes, 6 avril 2012; et Ariel Leve, ‟Saint Stan Brock: who are you?” London Times Online, 5 avril 2009. 

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Les vertus de l’humilité – 2

L’humble n’a rien à perdre ni rien à gagner. Si on le loue, il considère que c’est pour ce qu’il a pu accomplir, pas pour lui-même en tant qu’individu. Si on le critique, il considère qu’exposer ses défauts au grand jour est le meilleur service que l’on puisse lui rendre. «?Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit?», écrivait La Rochefoucauld, faisant écho aux sages tibétains qui rappellent volontiers que «?le meilleur enseignement est celui qui démasque nos défauts cachés?». Libre d’espoir et de crainte, l’humble reste d’un naturel insouciant. Paradoxalement, l’humilité favorise aussi la force de caractère : l’humble prend ses décisions selon ce qu’il estime être juste et s’y tient, sans s’inquiéter ni de son image ni du qu’en-dira-t-on.

L’humilité est une qualité que l’on trouve invariablement chez le sage qui a acquis de nombreuses qualités, car, dit-on, c’est lorsque l’arbre est chargé de fruits que les branches s’inclinent vers le sol, alors que l’orgueilleux est comme l’arbre dont les branches nues pointent vers le ciel. En voyageant avec Sa Sainteté le Dalaï-lama, j’ai souvent constaté la grande humilité empreinte de bonté de cet homme pourtant si vénéré. Il est toujours attentif aux gens de condition modeste et ne se pose jamais en personnage important. Un jour, après avoir salué François Mitterrand, qui venait de le raccompagner sur le perron de l’Élysée, le Dalaï-lama, avant de monter en voiture, est parti serrer la main d’un garde républicain qui se tenait à l’écart, sous l’œil médusé du président de la République.

L’humilité est une composante de l’altruisme, car l’humble est naturellement tourné vers les autres et attentif à leur bien-être. Des études de psychologie sociale ont montré que ceux qui se surestiment présentent, à l’inverse, une tendance à l’agressivité supérieure à la moyenne*. On a également mis en évidence un lien entre l’humilité et la faculté de pardonner, alors que les personnes qui s’estiment supérieures jugent plus durement les fautes des autres et les considèrent comme moins pardonnables**.

* Traduit de: Bushman, B. J., & Baumeister, R. F. (1998). Threatened egotism, narcissism, self-esteem, and direct and displaced aggression: Does self-love or self-hate lead to violence?? Journal of Personality and Social Psychology, 75, 219—229.

** Traduit de: Exline J. J. & Baumeister, R. F. (2000). Case Western Reserve University. Unpublished data cited by J. P. Tangney, Humility, in Handbook of Positive Psychology (2002).

Les vertus de l’humilité – 1

L’humilité est parfois méprisée, considérée comme une faiblesse. La philosophe Ayn Rand proclame : « Rejetez l’humilité, ce vice dont vous vous couvrez comme d’un haillon en l’appelant vertu. »* Pourtant, l’orgueil, exacerbation narcissique du « moi », ferme la porte à tout progrès personnel, car pour apprendre il faut d’abord penser que l’on ne sait pas. L’humilité est une valeur oubliée du monde contemporain, théâtre du paraître. Les magazines ne cessent de donner des conseils pour « s’affirmer », « s’imposer », « être belle », paraître à défaut d’être. Cette obsession de l’image favorable que l’on doit donner de soi est telle que l’on ne se pose même plus la question de l’infondé du paraître, mais seulement celle du comment bien paraître. Pourtant, comme l’écrivait La Rochefoucauld : « Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes que d’essayer de paraître ce que nous ne sommes pas. »

La plupart des gens associent l’humilité au manque d’estime de soi et de confiance dans ses propres capacités, quand ils ne l’assimilent pas à un complexe d’infériorité. Ils méconnaissent les bienfaits de l’humilité, car si la suffisance est l’apanage du sot, l’humilité est la vertu de celui qui mesure tout ce qui lui reste à apprendre et le chemin qu’il doit encore parcourir. Les humbles ne sont pas des gens beaux et intelligents qui s’évertuent à se persuader qu’ils sont laids et stupides, mais des êtres qui font peu de cas de leur ego. Ne se considérant pas comme le nombril du monde, ils s’ouvrent plus facilement aux autres et sont particulièrement conscients de l’interconnexion entre tous les êtres.

* Rand, A. (2006). La Révolte d’Atlas, Éditions des Travailleurs, 2009, p. 1636.

Pour la protection de la haute mer

Soutenez la pétition lancée par la Global Ocean Commission à l’attention du Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon:

Contribuez à assurer un océan vivant, l’alimentation et la prospérité. Proposez de nouvelles normes pour la protection de la haute mer en Septembre 2014

L’océan est en danger. Il est essentiel pour notre avenir. Faisons de sa protection une priorité de l’action des Nations Unies.

Il nous offre des aliments, de l’eau fraîche, de l’énergie, des médicaments, la moitié de l’oxygène que nous inspirons et même le cadre de nos vacances : un océan sain est essentiel à toute vie sur Terre.

Cependant, pendant trop longtemps, nous avons capturé trop de poissons, pollué aveuglément et dégradé de fragiles habitats des fonds marins. Nous poussons le système océanique jusqu’à son point de rupture, risquant ainsi notre propre santé et prospérité.

Les ressources marines et côtières atteignent une valeur de 3 000 milliards de dollars US par an — environ 5 % du PIB mondial — et, à travers le monde, 350 millions d’emplois sont liés à l’océan tandis que 97 % des pêcheurs vivent dans les pays en développement.

Mais sans la mise en œuvre de lois efficaces pour protéger un océan vivant, une minorité continuera à abuser de la liberté de la haute mer, à piller les richesses qui se trouvent sous sa surface, à prélever une part non équitable, et à en tirer profit au détriment du reste du monde, en particulier des plus pauvres.

La bonne nouvelle, c’est que nous avons l’extraordinaire possibilité de changer le cours des choses.

En septembre de cette année, l’Organisation des Nations unies (ONU) va entamer un débat sur l’avenir de la haute mer et sur la manière dont celle-ci devrait être gouvernée. Cela ne se reproduira pas de sitôt et c’est donc maintenant que nous devons tirer le meilleur parti de cette opportunité.

La haute mer — constituée des eaux internationales et recouvrant 45 % de la surface de la Terre — nous appartient à tous. Elle ressemble pourtant à un État en déliquescence au-delà de la juridiction de tout gouvernement. Personne n’en est globalement responsable, ce qui a pour conséquence alarmante un déclin important de la santé de tout l’océan.

Il est temps d’étendre l’État de droit jusqu’à cette moitié bleue de notre planète. Nous avons besoin d’un nouvel accord international (dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer) afin de garantir le bon état de l’océan, l’utilisation durable et équitable des ressources de la haute mer, et la préservation de celles-ci.

Cela aidera à nous assurer que nous disposons de suffisamment de nourriture pour tous, d’un accès équitable aux nouveaux médicaments issus des organismes d’eau profonde pour lutter contre le cancer et d’autres maladies graves, d’une résistance suffisante face aux effets les plus graves du changement climatique et d’une protection des habitats marins précieux contre les industries destructrices.

Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’est engagé en faveur de la santé et de la protection de l’océan, mais il a besoin de notre soutien pour être en position de force en septembre lorsqu’il appellera les dirigeants de la planète à préparer ce nouvel accord.

Joignez-vous à la mission pour un océan sain et vivant, et demandez à Ban Ki-moon de lancer un appel en faveur de la protection de la haute mer et de la santé de l’océan.

Signer la pétition

Les vertus de l’humilité – 2

L’humble n’a rien à perdre ni rien à gagner. Si on le loue, il considère que c’est pour ce qu’il a pu accomplir, pas pour lui-même en tant qu’individu. Si on le critique, il considère qu’exposer ses défauts au grand jour est le meilleur service que l’on puisse lui rendre. « Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit », écrivait La Rochefoucauld, faisant écho aux sages tibétains qui rappellent volontiers que « le meilleur enseignement est celui qui démasque nos défauts cachés ».

Libre d’espoir et de crainte, l’humble reste d’un naturel insouciant. Paradoxalement, l’humilité favorise aussi la force de caractère : l’humble prend ses décisions selon ce qu’il estime être juste et s’y tient, sans s’inquiéter ni de son image ni du qu’en-dira-t-on.

L’humilité est une qualité que l’on trouve invariablement chez le sage qui a acquis de nombreuses qualités, car, dit-on, c’est lorsque l’arbre est chargé de fruits que les branches s’inclinent vers le sol, alors que l’orgueilleux est comme l’arbre dont les branches nues pointent vers le ciel. En voyageant avec Sa Sainteté le Dalaï-lama, j’ai souvent constaté la grande humilité empreinte de bonté de cet homme pourtant si vénéré. Il est toujours attentif aux gens de condition modeste et ne se pose jamais en personnage important. Un jour, après avoir salué François Mitterrand, qui venait de le raccompagner sur le perron de l’Élysée, le Dalaï-lama, avant de monter en voiture, est parti serrer la main d’un garde républicain qui se tenait à l’écart, sous l’œil médusé du président de la République.

L’humilité est une composante de l’altruisme, car l’humble est naturellement tourné vers les autres et attentif à leur bien-être. Des études de psychologie sociale ont montré que ceux qui se surestiment présentent, à l’inverse, une tendance à l’agressivité supérieure à la moyenne.* On a également mis en évidence un lien entre l’humilité et la faculté de pardonner, alors que les personnes qui s’estiment supérieures jugent plus durement les fautes des autres et les considèrent comme moins pardonnables.**

* Bushman, B. J., & Baumeister, R. F. (1998). “Threatened egotism, narcissism, self-esteem, and direct and displaced aggression: Does self-love or self-hate lead to violence??” Journal of Personality and Social Psychology, 75, 219—229.

** Exline J. J. & Baumeister, R. F. (2000). Case Western Reserve University. Unpublished data cited by J. P. Tangney, Humility, in Handbook of Positive Psychology (2002).

Les vertus de l’humilité – 1

L’humilité est parfois méprisée, considérée comme une faiblesse. La philosophe Ayn Rand proclame : « Rejetez l’humilité, ce vice dont vous vous couvrez comme d’un haillon en l’appelant vertu *. » Pourtant, l’orgueil, exacerbation narcissique du « moi », ferme la porte à tout progrès personnel, car pour apprendre il faut d’abord penser que l’on ne sait pas. L’humilité est une valeur oubliée du monde contemporain, théâtre du paraître. Les magazines ne cessent de donner des conseils pour « s’affirmer », « s’imposer », « être belle », paraître à défaut d’être. Cette obsession de l’image favorable que l’on doit donner de soi est telle que l’on ne se pose même plus la question de l’infondé du paraître, mais seulement celle du comment bien paraître. Pourtant, comme l’écrivait La Rochefoucauld : « Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes que d’essayer de paraître ce que nous ne sommes pas. »

La plupart des gens associent l’humilité au manque d’estime de soi et de confiance dans ses propres capacités, quand ils ne l’assimilent pas à un complexe d’infériorité. Ils méconnaissent les bienfaits de l’humilité, car si la suffisance est l’apanage du sot, l’humilité est la vertu de celui qui mesure tout ce qui lui reste à apprendre et le chemin qu’il doit encore parcourir. Les humbles ne sont pas des gens beaux et intelligents qui s’évertuent à se persuader qu’ils sont laids et stupides, mais des êtres qui font peu de cas de leur ego. Ne se considérant pas comme le nombril du monde, ils s’ouvrent plus facilement aux autres et sont particulièrement conscients de l’interconnexion entre tous les êtres.

* Rand, A. (2006). La Révolte d’Atlas, Éditions des Travailleurs, 2009, p. 1636.

L’altruisme n’exige pas de « sacrifice »

Le fait d’éprouver de la joie à faire le bien d’autrui, ou d’en retirer de surcroît des bienfaits pour soi-même, ne rend pas, en soi, un acte égoïste. L’altruisme authentique n’exige pas que l’on souffre en aidant les autres et ne perd pas son authenticité s’il s’accompagne d’un sentiment de profonde satisfaction. De plus, la notion même de sacrifice est très relative : ce qui apparaît comme un sacrifice à certains est ressenti comme un accomplissement par d’autres.

Pour remédier aux souffrances d’autrui, nous pouvons choisir de payer de notre propre personne, renoncer à certaines de nos possessions ou à notre confort. En effet, si nous sommes mus par une motivation altruiste sincère et déterminée, nous vivrons ce geste comme une réussite et non un échec, un gain et non une perte, une joie et non une mortification. L’abnégation dite « sacrificielle » et, à ce titre, décriée par les zélateurs de l’égocentrisme, n’est sacrifice que pour l’égoïste. Pour l’altruiste, elle devient une source d’épanouissement. La qualité de notre vécu ne s’en trouve pas diminuée, mais augmentée. « L’amour est la seule chose qui double à chaque fois qu’on le donne », disait Albert Schweitzer. On ne peut donc plus parler de sacrifice puisque, subjectivement, l’acte accompli, loin d’avoir été ressenti comme une souffrance ou une perte, nous a, au contraire, apporté la satisfaction d’avoir agi de manière juste, désirable et nécessaire.

Lorsque l’on parle du « coût » d’une action altruiste, ou des sacrifices consentis en faveur des autres, il s’agit souvent de sacrifices extérieurs — notre confort physique, nos ressources financières, notre temps, etc. Mais ce coût extérieur ne correspond pas pour autant à un coût intérieur. Même si nous avons consacré du temps et des ressources à l’accomplissement du bien d’autrui, si cet acte est vécu comme un gain intérieur, la notion même de coût s’évanouit.

De plus, si nous reconnaissons la valeur de l’aspiration commune à tous les êtres sensibles d’échapper à la souffrance, il nous paraîtra raisonnable et souhaitable d’accepter certaines difficultés pour leur assurer de grands bienfaits. De ce point de vue, s’il se trouve qu’une action altruiste nous fait indirectement du bien, tant mieux ; si elle ne nous fait ni bien ni mal, cela n’a pas d’importance ; et si elle exige certains sacrifices, cela en vaut la peine, puisque notre sentiment d’adéquation avec nous-mêmes s’en trouve accru.

Tout est une question de mesure et de bon sens : si la diminution de la souffrance est le critère principal, il serait déraisonnable de sacrifier notre bien-être durable pour que l’autre puisse jouir d’un avantage mineur. L’effort consenti doit avoir un sens. Il serait absurde de risquer notre vie pour repêcher une bague que quelqu’un a laissé tomber dans l’eau, ou de dépenser une somme importante pour donner une caisse de bouteilles d’alcool à un ivrogne malade. Par contre, cela aurait un sens de sauver la vie de la personne si elle était tombée à l’eau avec sa bague au doigt, et d’utiliser notre argent pour aider l’ivrogne à se débarrasser de l’alcoolisme qui le tue.