Un acte bienveillant est-il égoïste lorsqu’on en retire un avantage?

Un acte désintéressé ne l’est pas moins si l’on est satisfait de l’avoir accompli. On peut retirer une satisfaction d’un geste altruiste sans que cette satisfaction ait motivé notre acte. En outre, l’individu qui fait un geste altruiste pour des raisons purement égoïstes risque d’être déçu en n’obtenant pas l’effet escompté. La raison en est simple : seul un acte bienveillant issu d’une motivation également bienveillante peut engendrer une satisfaction profonde.

Lorsqu’un paysan cultive son champ et y plante du blé, c’est en vue de moissonner assez de grain pour nourrir sa famille. En même temps, les tiges du blé lui fournissent de la paille. Mais personne ne soutiendra que le paysan a consacré une année de labeur à la seule fin d’engranger de la paille.

D’après le grand maître tibétain Dilgo Khyentsé Rinpotché, le bouddhiste véritable est celui qui «?répond aux besoins d’autrui spontanément, par compassion naturelle, et n’espère jamais de récompense. Comme les lois de causalité s’appliquent nécessairement, ses actions pour le bien des êtres porteront assurément des fruits — sur lesquels il ne tablera jamais. Jamais, non plus, il ne pensera qu’on ne lui témoigne pas assez de gratitude ou qu’il devrait être traité avec plus d’égards, mais il se réjouira du fond du cœur et se sentira pleinement satisfait si celui qui lui a fait du tort change d’attitude?».

Ce concept d’économie intérieure fait appel à une notion souvent mal comprise, celle de «?mérite?». Dans le bouddhisme, les mérites ne sont pas des «?bons points?» de vertu, mais des énergies positives qui permettront de faire le plus grand bien aux autres tout en étant heureux soi-même. Dans ce sens, les mérites sont comme une plantation dont on a pris grand soin et qui fournit une abondante moisson, capable de combler tout le monde.

Etre égoïste est une mauvaise façon de s’aimer soi-même

L’égoïsme ne peut donc être considéré comme une façon efficace de s’aimer soi-même, puisqu’il est la cause première de notre mal-être. Il constitue une tentative particulièrement maladroite d’assurer son propre bonheur. Le psychologue Erich Fromm, rejoignant la pensée bouddhiste, éclaire ainsi ce comportement : «?S’aimer soi-même est nécessairement lié au fait d’aimer une autre personne. L’égoïsme et l’amour de soi, loin d’être identiques, sont en fait deux attitudes opposées. L’égoïste ne s’aime pas trop, mais trop peu?; en fait, il se hait.?» L’égoïste est un être qui ne fait rien de sensé pour être heureux. Il se hait parce que, sans le savoir, il fait tout ce qu’il faut pour se rendre malheureux et cet échec permanent provoque une frustration et une rage intérieure qu’il retourne contre lui et contre le monde extérieur.

Si l’égocentrisme est une constante source de tourments, il en va tout autrement de l’altruisme et de la compassion. Sur le plan de l’expérience vécue, l’amour altruiste s’accompagne d’un profond sentiment de plénitude et, comme nous le verrons par ailleurs, c’est aussi l’état d’esprit qui déclenche l’activation la plus importante des aires cérébrales associées aux émotions positives. On pourrait dire que l’amour altruiste est la plus positive de toutes les émotions positives.

De plus, l’altruisme est en adéquation avec la réalité de ce que nous sommes et de ce qui nous entoure, à savoir le fait que tout est foncièrement interdépendant. La perception habituelle de notre vie quotidienne peut nous porter à croire que les choses ont une réalité objective et indépendante, mais, en fait, elles n’existent qu’en dépendance d’autres choses.

La compréhension de cette interdépendance universelle est la source même de l’altruisme le plus profond. En comprenant à quel point notre existence physique, notre survie, notre confort, notre santé, etc. dépendent des autres et de ce que nous fournit le monde extérieur — remèdes, nourriture, etc. — il devient facile de nous mettre à leur place, de vouloir leur bonheur, de respecter leurs aspirations et de nous sentir intimement concernés par l’accomplissement de ces aspirations.

« Et n’oublie pas d’être heureux »

Avec Et n’oublie pas d’être heureux
, notre ami Christophe André nous offre, une fois de plus, un trésor d’inspiration et de sagesse bien ancrée dans l’expérience vécue, la vie quotidienne et la bonne science. Christophe se garde de nous promettre la lune — le Dalaï-lama disait une fois que l’un des problèmes de nos contemporains est qu’ils voudraient que le fruit du chemin de transformation intérieure soit « facile, rapide et bon marché, » — mais il pointe un doigt avisé vers la lune de la plénitude à laquelle nombre d’entre nous aspire.

Jusqu’aux années 1980, peu de chercheurs s’étaient penchés sur les moyens permettant de développer les traits positifs de notre tempérament. Si l’on consulte le répertoire des livres et articles consacrés à la psychologie depuis 1887 (Psychological Abstracts), on y relève 136 728 titres mentionnant la colère, l’anxiété ou la dépression contre seulement 9 510 titres mentionnant la joie, la satisfaction ou le bonheur. Il est certes plus que désirable de traiter les troubles psychologiques qui handicapent, voire paralysent la vie des gens, mais comme le montre Christophe tout au long de son ouvrage, le bonheur ne se résume pas à l’absence de malheur : « La psychologie classique ne vise qu’à « réparer » ce qui est abîmé dans l’esprit et l’âme des patients. Mais il faut aussi les aider à développer ce qui les rendra plus heureux. » Et ce, pas seulement pour leur « bon plaisir », mais parce qu’on sait maintenant que le bonheur est un excellent outil de prévention de l’apparition des pathologies mentales ou de leurs rechutes.

Le bonheur n’est pas seulement, « le silence du malheur » comme l’écrivait Jules Renard. Dès 1969, le psychologue Norman Bradburn avait montré que les affects plaisants et déplaisants ne représentent pas seulement des contraires, mais procèdent de mécanismes différents et doivent donc être étudiés séparément. Se contenter d’éliminer la tristesse et l’anxiété n’assure pas automatiquement la joie et le bonheur. La suppression d’une douleur ne conduit pas nécessairement au plaisir. Il est donc nécessaire non seulement de se libérer des émotions négatives mais aussi de développer les émotions positives.

Cette position rejoint celle du bouddhisme qui affirme, par exemple, que s’abstenir de faire du tort aux autres (l’élimination de la malveillance) ne suffit pas, et que cette abstention doit être renforcée par un effort déterminé à faire leur bien (l’épanouissement de l’altruisme et sa mise en œuvre). Selon Barbara Fredrickson, de l’université de Michigan, l’une des fondatrices de la psychologie positive, « les émotions positives ouvrent l’esprit et élargissent la palette des pensées et des actions : la joie, l’intérêt, le contentement, l’amour […]. Les pensées positives engendrent des comportements flexibles, accueillants, créateurs et réceptifs ».

La psychologie positive, représentée par une nouvelle génération de chercheurs, a donc pour but d’étudier et de renforcer les émotions positives qui nous permettent de devenir de meilleurs êtres humains tout en acquérant une plus grande joie de vivre.

Christophe souligne qu’il ne faudrait pas minimiser l’importance de la psychologie positive en supposant qu’elle « ne consiste pas à délivrer de vagues bons conseils « prenez la vie du bon côté ! » ou encourager à « positiver ». La psychologie positive est l’étude de ce qui marche bien dans l’esprit humain et nous encourage à rechercher une manière d’être « optimale. »

Selon nombre de recherches scientifiques, le développement d’émotions positives présente un avantage évolutif indiscutable dans la mesure où il nous aide à élargir notre univers intellectuel et affectif, à nous ouvrir à de nouvelles idées et de nouvelles expériences. À l’opposé de la dépression, qui provoque souvent une plongée en vrille, les émotions positives engendrent une spirale ascendante : elles construisent la force d’âme et influencent la façon de gérer l’adversité ».

Pour cela, il ne suffit pas de se contenter de quelques moments magiques, bienvenus dans l’existence au côté de moments plus sombres, il faut persévérer dans la compréhension des conditions intérieures du bien-être et dans la pratique, au fil des heures et des jours, d’une meilleure intelligence quant à la façon de gérer nos pensées et nos émotions. Comme l’ajoute Christophe, « C’est une conviction, une science et une pratique. » Une conviction, parce qu’on en aura reconnu le bien-fondé ; une science, parce qu’il ne suffira pas de faire n’importe quoi ; une pratique, parce que rien ne vient en quelques instants simplement parce qu’on le souhaite. Sinon, on risque de tomber dans le travers de cet apprenti musicien, imaginé par Christophe, qui renonce à l’apprentissage avant de l’avoir entrepris : « J’ai pris le violon, j’ai frotté l’archet sur les cordes, et non seulement rien n’est sorti de beau, mais en plus ça faisait un son horrible. C’est nul le violon ! »

La psychologie positive ne nous garantit nullement une vie à l’eau de rose, sans souffrances, mais peut certainement nous aider à actualiser le meilleur de nous-mêmes.

André, C. (2014). 
Et n’oublie pas d’être heureux
. Odile Jacob.

À lire également : Lecomte, J. (2009). Introduction à la psychologie positive
. Dunod.

Comment combiner la méditation sur l’amour altruiste, la compassion, la réjouissance et l’impartialité — 4

Quand nous méditons sur l’amour altruiste, il peut arriver que notre attention s’égare et s’attache aux seules personnes qui nous sont chères. Ce sera le moment de passer à la méditation sur l’impartialité, pour étendre cet amour à tous, proches, inconnus ou ennemis.

Il se peut alors que l’impartialité tourne à l’indifférence : au lieu d’être concerné par tous les êtres, on se distancie d’eux et l’on cesse d’être intéressé par leur sort. C’est le moment de penser à ceux qui souffrent et de cultiver une compassion sincère.

À force de penser continuellement aux souffrances qui affligent les autres, on peut être envahi par un sentiment d’impuissance, d’accablement, ou même de désespoir, et se sentir dépassé par l’immensité de la tâche. Il faut alors se réjouir en pensant à tous ceux qui ont plus de qualités et de succès que soi.

S’il advient que cette joie dérive vers une euphorie naïve, on passera de nouveau à l’amour altruiste. Et ainsi de suite.

À la fin de la séance, comprenons que les phénomènes sont impermanents, interdépendants, et de ce fait dénués de l’existence autonome que nous leur attribuons habituellement. Il en résultera davantage de liberté dans notre manière de percevoir le monde.

Essayons de demeurer quelques instants dans la pleine conscience du moment présent, dans un état de simplicité naturelle, dans lequel l’esprit n’est pas trop occupé par les pensées discursives.

Avant de reprendre le cours de nos activités, concluons par des souhaits qui permettent de jeter un pont entre la méditation et la vie quotidienne. Pour ce faire, dédions sincèrement les bienfaits de la méditation à tous les êtres, en pensant : « Puisse l’énergie positive engendrée non seulement par cette méditation mais par tous mes actes, paroles et pensées bienveillants, passés, présents et futurs, contribuer à soulager les souffrances des êtres, à court et à long terme. »

Pour plus de détails, voir Plaidoyer pour l’altruisme
, chapitre 22 « Comment cultiver l’altruisme »

Méditation sur la réjouissance et l’impartialité – 3

Il y a en ce monde des êtres qui possèdent d’immenses qualités, d’autres qui comblent l’humanité de bienfaits et dont les entreprises sont couronnées de succès, d’autres qui, simplement, sont plus doués, plus heureux, ou réussissent mieux que nous. Réjouissons-nous sincèrement de leurs accomplissements, souhaitons que leurs qualités ne déclinent pas, mais au contraire perdurent et s’accroissent. Cette faculté de célébrer les meilleurs aspects d’autrui est un antidote à l’envie et à la jalousie, lesquelles reflètent une incapacité à se réjouir du bonheur d’autrui. C’est aussi un remède au découragement et à la vision sombre et désespérée du monde et des êtres.

L’impartialité

L’impartialité est le complément essentiel des trois méditations précédentes. Le souhait que tous les êtres soient délivrés de la souffrance et de ses causes doit en effet être universel, il ne doit pas dépendre de nos préférences ou de la façon dont les autres nous traitent. Soyons comme le médecin qui se réjouit que les autres soient en bonne santé et qui se préoccupe de la guérison de tous ses patients, quel que soit leur comportement. Comme le soleil qui brille également sur les bons et sur les méchants, l’impartialité permet d’étendre à tous les êtres sans distinction l’amour altruiste, la compassion et la joie que nous avons cultivés dans les méditations précédentes.

Pour plus de détails, voir Plaidoyer pour l’altruisme
, chapitre 22 « Comment cultiver l’altruisme »

Méditation sur l’amour altruiste -1

Pour méditer sur l’amour altruiste, il faut commencer par prendre conscience qu’au plus profond de nous-mêmes nous redoutons la souffrance et aspirons au bonheur. Cette étape est particulièrement importante pour ceux qui ont une image négative d’eux-mêmes ou ont beaucoup souffert, et qui estiment qu’ils ne sont pas faits pour être heureux. Engendrons une attitude chaleureuse, tolérante, et bienveillante envers nous-mêmes ; décidons que, dorénavant, nous ne nous voulons que du bien.

Une fois reconnue cette aspiration, nous devons ensuite admettre le fait qu’elle est partagée par tous les êtres. Reconnaissons notre humanité commune. Prenons conscience de notre interdépendance.

Faisons d’abord porter notre méditation sur un être cher

Il est plus facile de commencer à nous entraîner à l’amour altruiste en pensant à quelqu’un qui nous est cher. Imaginons un jeune enfant qui s’approche de nous et nous regarde joyeux, confiant et plein d’innocence. Nous lui caressons la tête en le contemplant avec tendresse et le prenons dans nos bras, tandis que nous ressentons un amour et une bienveillance inconditionnels. Laissons-nous imprégner entièrement par cet amour qui ne veut rien d’autre que le bien de cet enfant. Demeurons quelques instants dans la pleine conscience de cet amour, sans autre forme de pensée.

Étendre notre méditation

Étendons ensuite ces pensées bienveillantes à ceux que nous connaissons moins. Eux aussi souhaitent être heureux, même s’ils sont parfois maladroits dans leurs tentatives d’échapper à la souffrance. Allons plus loin ; incluons dans cette bienveillance ceux qui nous ont fait du tort, et ceux qui nuisent à l’humanité en général. Cela ne signifie pas que nous leur souhaitons de réussir dans leurs entreprises malveillantes?; nous formons simplement le vœu qu’ils abandonnent leur haine, leur avidité, leur cruauté ou leur indifférence, et qu’ils deviennent bienveillants, soucieux du bien d’autrui. Portons sur eux le regard d’un médecin sur ses patients les plus gravement atteints.

Enfin, embrassons la totalité des êtres sensibles dans un sentiment d’amour illimité.

Pour plus de détails, voir Plaidoyer pour l’altruisme
, chapitre 22 « Comment cultiver l’altruisme. »

Une méditation sur l’optimisme

Asseyez-vous confortablement et respirez calmement et naturellement. Concentrez quelques instants votre attention sur le souffle qui va et vient. Soyez présents à la sensation que crée le passage de l’air dans les narines, notez également le moment où le souffle est suspendu, entre l’expiration et l’inspiration suivante. Que votre respiration soit longue ou courte, soyez simplement conscients du fait qu’elle est longue ou courte. Ainsi, votre esprit deviendra un peu plus calme, clair et stable.

Dites-vous ensuite qu’il y a de nombreuses façons de faire l’expérience du monde. Voir la vie en or, c’est essentiellement se rendre compte que tous les êtres, y compris vous-même, ont en eux un potentiel de transformation intérieure et d’action.

Comprenez que les circonstances extérieures sont sans cesse changeantes et que rien n’est gravé dans la pierre. Soyez confiant dans le fait qu’il est possible de réaliser vos aspirations et qu’avec patience, détermination et intelligence, vous finirez le plus souvent par les accomplir.

Dites-vous que vous pouvez toujours faire mieux (au lieu d’être catastrophé, résigné ou dégoûté), limiter les dégâts (au lieu de tout laisser partir à la dérive), trouver une solution de rechange (au lieu de stagner dans l’échec), rebâtir ce qui a été détruit (au lieu de se dire « tout est fini ! »). Comprenez qu’il faut faire des efforts soutenus dans la direction qui semble la meilleure et utiliser chaque moment présent pour progresser et pour cultiver la liberté intérieure, au lieu de perdre son temps à ruminer le passé et à craindre l’avenir.

À la fin de cette petite méditation, demeurez quelques instants dans le calme, sans constructions mentales particulières, en appréciant cet espace de sérénité lucide au fond de vous-même. Dédiez cette pratique au bien-être de tous les êtres… vous-même y compris.

Vote imminent au Parlement européen sur le chalutage en eaux profondes: soutenez l’action de Bloom pour une interdiction

Un vote va avoir lieu le 9 décembre prochain au Parlement européen sur la pêche en eaux profondes, en d’autres termes le chalutage des grands fonds marins. La biodiversité fragile de ces fonds a pris des dizaines de milliers d’années à se former. Aujourd’hui, on la détruit brutalement, comme si l’on rasait Notre-Dame au bulldozer. De fait, 10 chalutiers en eaux profondes peuvent détruire la surface de Paris en deux jours.

Et tout cela pour produire quelques filets de poisson bon marché pour les grandes chaînes de distribution des pays riches, sans aucunement contribuer à nourrir ceux qui ont faim dans le monde.

L’association Bloom, conduite par Claire Nouvian, a accompli un travail d’information remarquable et continue inlassablement de faire campagne pour que le Parlement européen vote l’interdiction de cette méthode de pêche, l’une des plus destructrices de l’histoire. Pendant ce temps, les lobbies de la pêche en eaux profondes et leurs alliés politiques se démènent pour faire dérailler le vote, faisant preuve, comme d’habitude, d’un égoïsme institutionnalisé des plus consternants.

À ce jour, plus de 600 000 personnes ont signé la pétition adressée au Président Hollande, et le relai est maintenant fait sur Avaaz. Vous pouvez y ajouter la vôtre
sur le site d’Avaaz.

Voir également le témoignage de soutien
que nous avons offert à l’action de Bloom.